Quatorze ans après Lacombe Lucien, parcours d’un jeune milicien sans états d’âme, le cinéaste revisite l’Occupation sous un angle plus intime. Si l’on retrouve son regard sans illusions sur la grisaille morale ambiante, on ressent aussi, dans la délicatesse des portraits d’enfants, dans la douleur de la séquence finale, une émotion profonde et un hommage à tous ceux qui eurent le courage de risquer leur vie pour en sauver d’autres.
En 1944, Julien Quentin rejoint le collège catholique dont il est pensionnaire, bien qu’il n’ait aucune envie de quitter sa mère et la maison familiale. Il retrouve l’ambiance des dortoirs et des salles de classe, le marché noir dont vit Joseph, l’aide cuisinier, qui échange des pots de confiture contre des cigarettes.
Un matin, le père Jean présente un nouvel élève : Jean Bonnet, un brillant sujet, qui déclenche rapidement la jalousie de Julien. Intrigué par l’attitude de son nouveau condisciple, qui ne reçoit jamais ni colis ni courrier et se lève la nuit pour dire d’étranges prières, Julien finit par découvrir son secret. Jean est juif, vit sous un nom d’emprunt et doit à la générosité du père Jean d’avoir trouvé un refuge dans le collège...
Les deux élèves se jaugent, Julien est intrigué par Jean, garçon fier, mutique et mystérieux un temps rejeté par l’ensemble de la classe. Après s’être observés mutuellement, ils s’apprivoisent au jour le jour et un lien d’amitié se crée entre eux. Julien finit par comprendre le secret de son ami, son nom n’est pas Bonnet mais Kippelstein, il est juif. Un froid matin de janvier, suite à une dénonciation, la Gestapo fait irruption dans le collège. Le père Jean, résistant clandestin, et les trois enfants juifs sont emmenés. Julien ne les reverra jamais plus. Les enfants sont déportés à Auschwitz et le Père Jean à Mauthausen.
Un film très personnel
Ce film est en partie autobiographique. Louis Malle a vécu cette histoire qui a longuement occupé son esprit, selon ses propres dires : « Pendant longtemps, j’ai purement et simplement refusé de m’y attaquer, parce que cet événement m’avait traumatisé et qu’il a eu une énorme influence sur ma vie. »
De façon générale, l’amitié approfondie entre Julien et Jean est une fiction. Le jeune Malle n’a pas réellement développé d’amitié avec le vrai Bonnet (il déclarera dans plusieurs interviews que c’est ce regret qui a motivé le film). Le personnage de Julien corrige ce que Louis Malle n’a pas eu le temps, l’occasion ou la présence d’esprit de faire à l’époque. Sa façon de chercher des indices sur l’identité de Jean peut être vue comme l’investigation que le réalisateur fait a posteriori sur son passé.
Au revoir les enfants est donc une version romancée d’événements que Louis Malle a vécus.
Dans les faits réels, le jeune Jean Bonnet s’appelait Hans-Helmut Michel (6 juin 1930, 6 février 1944) et il est resté environ un an dans le collège d’Avon près de Fontainebleau. Il est en fait arrivé dans cet internat quelques mois avant Louis Malle et son frère Bernard.
Après que la Gestapo l’eut arrêté (avec les autres enfants et le prêtre) le 15 janvier 1944, il fut envoyé à Drancy puis déporté à Auschwitz où il fut immédiatement envoyé en chambre à gaz.
Le Père Jean du film a lui aussi existé et s’appelait Père Jacques (29 janvier 1900, 2 juin 1945). Pour avoir caché les trois enfants juifs dans le collège d’Avon, il fut lui déporté à Mauthausen. Il mourut une semaine après la libération du camp. Il est honoré à Yad Vashem en tant que Juste parmi les nations.
Film de Louis Malle (France, 1987). Image : Renato Berta. Musique : Schubert, Saint-Saëns. 105 mn. Avec Gaspard Manesse : Julien Quentin. Raphaël Fetjö : Bonnet. Francine Racette : Mme Quentin. Stanislas Carré de Malberg : François Quentin.