Cette atmosphère de fête est due avant tout à la multiplication des commandements qui nous sont ordonnés pendant les sept jours de la fête elle-même. Aux commandements ordonnés par la Torah (la "soukkah" – maison provisoire où l’on doit habiter, les 4 espèces – que l’on doit agiter chaque jour, et les sacrifices particuliers de la fête – 70 taureaux dont le nombre va chaque jour en décroissant), d’autres commandements rabbiniques sont venus s’ajouter dès la période du second temple (les rameaux de saule placés sur l’autel, les libations d’eau et la cérémonie de "la joie du puisage" – "simchat beith hashoeva).
Ce développement de la manière de fêter Soukot semble correspondre à une évolution qui débute au temps du premier temple et prend de l’amplitude à l’époque du second temple. Deux passages bibliques nous l’indiquent très bien.
Le premier se trouve tout à la fin des prophéties de Zacharie, un prophète qui vécut dans les années de la construction du second temple. Parlant des restes des peuples qui chercheront à attaquer Jérusalem, il précise que chaque année ils monteront se prosterner devant Dieu au moment de la fête de Soukot . "Et toute celle qui ne montera pas, parmi les familles de la terre, à Jérusalem pour se prosterner devant le roi Dieu de la création, il n’y aura pas de pluie pour elles" (Zacharie, 14, 17).
La pluie est l’élément de base de la vie. Son importance est capitale pour la survie de toutes les sociétés. Son absence comme sa trop grande abondance peuvent entraîner la destruction des civilisations. Ainsi, les archéologues nous parlent de peuples qui habitaient le Sahara lorsque le climat y était moins rigoureux, et les dévastations provoquées par des Moussons trop abondantes dans le sous-continent indien reviennent périodiquement dans les titres de l’actualité. Le prophète Zacharie, se servant d’éléments déjà en germe dans la Torah de Moïse, construit une sorte de quadrilatère dont les sommets sont des sortes de couple : Israël et les nations d’une part, la pluie et l’hommage à Dieu d’autre part. Le point équidistant entre ces quatre sommets est la fête de Soukot !
Lorsque les armes se taisent, lorsque les peuples cessent leurs attaques contre le peuple d’Israël, symbolisé ici par Jérusalem, lorsqu’ils acceptent l’unicité de Dieu, alors la vie de la nature elle-même en est bouleversée, et la bénédiction de la pluie touche tout un chacun. L’école de Rabbi Ishmaël résumera ceci dans la Mishna en affirmant qu’à Soukkot, le monde est jugé sur la pluie.
Face à cette vision universelle de la fête de Soukot , nous trouvons un autre passage intéressant, cette fois-ci dans le livre de Néhémie. Au chapitre huit, après la description de la lecture solennelle de la Torah par Ezra, nous voyons que la première application concrète de cette lecture est le désir d’accomplir le commandement de la fête de Soukot . On voit ainsi l’ensemble du peuple construire des cabanes et chercher dans les forêts autour de Jérusalem les quatre espèces de plantes du Loulav. Or la fin du verset 17 précise : "car les enfants d’Israël n’avaient pas fait ainsi depuis les jours de Josué jusqu’à ce jour là et il y eu une très grande joie". Etrange affirmation ! Le peuple d’Israël n’aurait jamais accompli vraiment les prescriptions de la fête de Soukot . Certains commentateurs y voient une exagération de langage (Daat mikra).
L’explication de la Bible du Rabbinat nous paraît plus profonde : "Avec cet ensemble et cette solennité". La joie complète de Soukot , c’est l’unité retrouvée du peuple d’Israël, l’accomplissement de son identité à travers les commandements. Soukot est ainsi la fête du particularisme renouvelé, le moment d’intense unité nationale à travers la plongée dans le spirituel.
Loin d’y voir une opposition, il me semble que ces deux citations forment un tout, qu’elles sont comme les deux faces opposées, mais soudées entre elles, d’une même pièce. Vivre pleinement la fête de Soukot , c’est être capable de percevoir ce message que les maîtres spirituels de l’époque du Second temple ont essayé de nous retransmettre : être soi-même pour pouvoir être ouvert sur le monde, être ouvert sur le monde pour pouvoir être soi-même.
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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