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Commentaires sur la parasha vaera

Commentaires sur la parasha vaera

Parashat Vaera -

Les plaies d’Egypte et l’esclavage. Moïse face aux mages égyptiens.

Quand les Juifs aiment l’exil...

Au cours du Seder, la veillée pascale, nous lisons dans la Haggadah le récit de la sortie d’Egypte. Celui-ci s’appuie, bien sûr, sur les trois premières parashiot du livre de l’exode, avec cependant des différences importantes. Ainsi, beaucoup savent que si les héros du récit de la Torah sont d’abord et avant tout Moïse et son frère Aaron, par contre, la Haggadah brille par leur absence. Celle-ci est expliquée généralement par le désir de mettre avant tout en avant, le soir de Pâque, le rôle de Dieu dans la délivrance d’Egypte.

C’est peut-être la même raison qui explique l’absence, dans la Haggadah, de ce qui fait l’essentiel du passage entre la parasha   de la semaine dernière, Shemot, et celle de cette semaine, Vaéra. La fin de Shemot s’achève par un drame, celui de l’aggravation de l’esclavage, à la suite des premières démarches de Moïse auprès du Pharaon pour obtenir la délivrance des enfants d’Israël. Comme tout régime qui se sent menacé, celui-ci répond par la répression. Les conditions des Hébreux sont aggravées, et ils en accusent immédiatement Moïse et ses démarches. La parasha   s’achevait par les reproches amers de Moïse vis-à-vis de Dieu : "pourquoi as-tu fait le mal avec ce peuple, et pourquoi m’as-tu envoyé ?", à quoi Dieu répondait dans le dernier verset : "Tu verras ce que je ferais à Pharaon, car c’est par une main forte que je les enverrais et par une main forte que je les expulserais de l’Egypte".
Notre Parasha   s’ouvre sur la suite du discours de Dieu, dans lequel celui-ci dévoile son programme (chapitre 6, versets 2 à 8) : accomplir la promesse annoncée aux patriarches, celle d’amener le peuple en terre d’Israël. Mais dans ce plan, un autre élément intervient, celui de la manière dont le peuple sera délivré : "Je vous délivrerais par un bras étendu et par de grands jugements". L’illustration de ces propos se précise dans la suite de la parasha   : Dieu endurcit le cœur de Pharaon, afin de pouvoir manifester aux yeux de tous son "bras étendu" à travers des plaies miraculeuses qui toucheront l’Egypte de plus en plus durement.

On peut cependant se poser une question naïve : pourquoi ne pas avoir raccourci ce processus ? Si le but est la délivrance des enfants d’Israël, ne valait-il pas mieux précipiter les choses, afin de réduire leur esclavage et leurs souffrances ? La manifestation de la grandeur de Dieu est-elle plus importante que les épreuves subies par les hommes ?
Une réponse possible se trouve, nous semble-t-il, dans le verset 9 du chapitre 6. Dès l’annonce du plan divin, Moïse se précipite auprès du peuple pour leur redire les paroles de Dieu et leur redonner espoir. Mais en quelques mots, la Torah nous décrit les réactions des Hébreux : "Vélo shamou el moshé mikotsér rouach ou méavoda kasha". La traduction du rabbinat, suivant de nombreux commentateurs, propose de comprendre cette phrase ainsi : "mais ils ne l’écoutèrent point, ayant l’esprit oppressé par une dure servitude". Mais en réalité le texte dit : "et ils ne l’écoutèrent point de par un esprit court et de par le travail difficile". La Torah donne ici deux explications, d’une part un scepticisme vis-à-vis des promesses, d’autre part du fait de leurs conditions de vie difficiles. C’est ce scepticisme, ce "kotser rouach", qui explique le besoin de mettre en place une véritable stratégie de délivrance, passant par des miracles, mais aussi par des aggravations de conditions de vie. Dieu doit forcer la main des sceptiques en maniant "la carotte et le bâton" !

Pour nous en convaincre, il suffit de parcourir le texte de la Torah, et de voir le nombre de fois où les Hébreux regretteront leur séjour en terre d’Israël, alors qu’ils se trouvent dans le désert. Ce manque d’enthousiasme et de volonté pour quitter l’exil et venir recevoir la terre de la promesse n’est pas seulement le privilège de la génération d’Egypte. A de nombreuses reprises à travers l’histoire, de l’exil de Babylonie à celui d’aujourd’hui, on voit que beaucoup de membres du peuple d’Israël sont prêts à accomplir la Torah à Suze, Paris et New-York, comme si c’était là la volonté de Dieu. Et il est vrai qu’il est difficile de quitter ses habitudes, ses lieux d’enfance, son environnement culturel, pour plonger dans un inconnu qui nous est garanti seulement par la promesse divine. Mais ce "kotser rouach" a un prix, celui d’obliger Dieu à prolonger le processus de la délivrance, de par le manque de collaboration de la part des hommes.

Rabbin   Alain MichelRabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

copyright Jerusalem Post

Passé, présent, futur.

Le début de notre parasha   a pris une très grande importance théologique et liturgique dans la tradition d’Israël.

En effet, à la suite du rappel de la promesse faite par Dieu à Abraham, Isaac et Jacob, l’annonce du programme de la sortie d’Egypte est devenu la base du "seder pessah’", de la nuit Pascale, toute entière construite sur quatre coupes de vin.

Comme indiqué par les maîtres du Talmud  , ces quatre coupes sont l’écho des quatre langages de délivrance qui se trouvent dans notre parasha  , au chapitre 6 de l’Exode, versets 6 et 7 : "C’est pourquoi, dis aux enfants d’Israël : Je suis l’Eternel ! Je vous sortirai de dessous les souffrances de l’Egypte, et je vous sauverai de leur esclavage, et je vous délivrerai avec un bras étendu et avec des grands jugements. Je vous prendrai pour moi comme peuple et je serais pour vous Dieu, et vous saurez que je suis l’Eternel-Dieu qui vous sort de dessous les souffrances de l’Egypte".

Ces quatre langages de la délivrance, que nous avons traduis ici de manière classique comme un futur, sont traduits par André Chouraqui, de manière surprenante, par un présent ! La traduction de Chouraqui est connue pour être une tentative de rester le plus proche possible de l’hébreu dans la traduction française. Comment comprendre donc ce choix du présent ?

En hébreu biblique, il existe une forme verbale qui n’a pas été reproduite en hébreu moderne : il s’agit du "vav conversif". Lorsque ce "vav" (la sixième lettre de l’alphabet) est placée devant un verbe au futur, elle le transforme en passé, et lorsqu’elle elle est mise devant un verbe au passé, elle le transforme en futur.

Dans notre cas, les quatre langages de la délivrance sont des passés auxquels une lettre vav est rajoutée. Ainsi, pour le premier cas, "véhotséti" est formé du verbe "hotséti", "je vous ai sorti", et l’addition ce "vé" lui donne la signification "je vous sortirai". En réalité, les choses sont plus complexes que cela. Tout d’abord, le futur formé ainsi n’est pas l’exact équivalent du futur habituel : "ani otsi". Le futur habituel est un futur définitif, comme si l’on disait "à un instant précis, je vous sortirai", alors que le passé transformé en futur porte une notion de prolongement "je vous sortirai et cela durera un certain temps".

De plus, selon certains grammairiens, ce type de futur est en fait très proche du présent, et pourrai être ainsi traduit : "je vous sors et continue ensuite à vous sortir". D’où l’emploi du présent dans la traduction de Chouraki.

Si nous insistons sur ces détails qui, a priori, ne passionnent peut-être pas ceux qui n’ont pas d’intérêt pour les questions grammaticales, c’est qu’ils nous montrent à quel point le texte de la Torah invite à la réflexion et à l’approfondissement.

Car, en effet, comment pouvons nous décrire les quatre langages de la délivrance si ce n’est ainsi : il s’agit de quelque chose qui est un passé transformé en futur, mais également d’un futur qui n’est pas définitif, mais de plus d’un futur qui flirte avec le présent !

On comprend la leçon que nous transmet le texte, comme si la Torah nous disait :

  tout d’abord sache que la délivrance est inscrite dans le passé, non seulement dans les promesses faites aux ancêtres, mais dans le récit même que tu fais toi, être juif du XXIe siècle, de cette sortie d’Egypte qui appartient au passé et qui est pour toi un modèle.

  Mais sache que la promesse est faite pour toutes les générations, et que de même que Dieu a demandé à Moïse de parler au peuple de son époque en transformant un espoir passé en une réalité future, ces paroles continuent à s’adresser au peuple du futur, c’est-à-dire également à toi.

  Mais de plus, sache que ce que tu lis comme un futur, il ne tient qu’à toi pour qu’il se transforme en présent et que les langages de délivrance soient ceux de ta propre délivrance.

Dans la haggada de Pessah, ce livre que nous lisons chaque année pour commémorer la sortie d’Egypte, il est écrit : "Dans chaque génération et génération, chaque homme est obligé de se voir lui-même comme s’il était sorti d’Egypte". A l’époque du Maharal de Prague, certains Juifs s’étonnaient de devoir se considérer heureux d’avoir été délivrés d’Egypte, alors qu’eux étaient maintenant en exil, esclaves d’autres royaumes. A cela, le Maharal répondait que la délivrance d’Egypte avait amené tout le peuple d’Israël, quelque soit sa génération, à pouvoir être potentiellement "ben ’horin", un être humain libre, et que le contexte provisoire de la situation politique n’avait pas d’influence sur l’aptitude par essence d’atteindre la délivrance. Comment ne pourrions nous pas adhérer à ses paroles, nous qui vivons dans une génération qui a le choix de vivre sa capacité d’homme libre au présent et hors d’exil.

Rabbin   Alain MichelRabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

copyright Jerusalem Post

Face à l’idolâtrie

« La Transcendance dit à Moïse : « Vois, je te prépose dieu pour Pharaon et Aharon ton frère sera ton prophète » (Exode 7,1). Le mot utilisé pour dire que Moïse sera dieu pour Pharaon est exactement le même en hébreu que celui qu’on utilise pour dire Dieu : Elohim dans les deux cas… Ce n’est qu’en français que l’on fait la distinction, avec l’usage dans un cas de la minuscule et dans l’autre de la majuscule.

Cela nous enseigne que le mot Dieu dans la Torah – qui devrait être transcrit plus précisément par dieux, puisque c’est un pluriel en hébreu – n’est pas un nom propre, mais un nom d’usage. Il ne désigne pas le Nom par excellence de la Transcendance : il décrit une fonction que la Transcendance remplit face à l’homme, une fonction qui peut tout aussi bien être déléguée à certains hommes, comme à Moïse ou aux juges (Ps 82,6). Le mot Dieu se voit ainsi démythifier par la Bible, et reverser dans un lexique qui vise à décrire une relation pratique à l’homme. Que signifie donc ce nom par ailleurs si important dans la Bible, même s’il n’est pas exclusif, puisque le Transcendance y est désignée par bien d’autres noms ?

Rachi   le fait dériver d’une racine qui signifie la force (voir son commentaire sur Exode 15,11, Psaumes 22,20 et 88,5). La Transcendance est notre Dieu, cela signifie donc qu’il est notre force, la force qui nous dirige et nous oriente. Et Moïse doit se présenter devant Pharaon comme un dieu, c’est-à-dire comme une force qui va désormais diriger Pharaon et lui dicter son comportement.

On peut comprendre dès lors pourquoi le terme en hébreu s’écrit au pluriel et se conjugue au singulier lorsqu’il s’agit de la Transcendance, alors que la forme au singulier existe et est parfois utilisée, que ce soit El ou Eloah (ce qui donnera Allah en arabe).

En effet, se tourner vers la Transcendance, c’est la découvrir comme source de nombreuses forces qui nous font vivre et nous permettent de subsister : le café le matin pour nous réveiller, le travail pour nous construire et nous nourrir, les vacances pour nous reposer, nos rêves pour nous relancer, nos relations pour nous soutenir, les médicaments pour nous soigner, les livres pour nous enseigner, … Bref, nous avons besoin d’une multiplicité de forces – de dieux aussi innombrables que nos activités - vers lesquelles nous devons nous tourner pour parvenir à vivre et à avancer. La tendance New Age a très bien compris cela en remplaçant le mot français trop abstrait et trop pompeux de Dieu par celui d’énergie : je suis en recherche de mes énergies, je me relie à mes énergies positives,…

Ce qui distingue le monothéisme du polythéisme, c’est que s’il reconnaît la nécessité d’une multiplicité infinie de forces et d’énergie pour nous faire vivre, il conjugue ces forces au singulier, et les fait ainsi dépendre d’un principe unificateur - d’une orientation réconciliatrice. Cela permet d’affirmer qu’aussi contradictoires ces forces puissent-elles sembler, elles sont en fait rassemblées à leur source et donc destinées à s’unifier dans un commun élan, dans une harmonie finale, lorsque chacune sera reconnue pour ce qu’elle est, et remise à sa place par rapport aux autres.

Ce qui distingue le monosémisme (chem signifie le Nom, c’est-à-dire la Transcendance) juif d’un simple monothéisme, c’est le fait qu’il refuse de confondre la Transcendance avec une simple force, fût-elle la force qui unifie toutes les forces, ou la force suprême. C’est la phrase que nous répétons à Kipour et qui est reprise de l’histoire d’Elie au Carmel (I Rois 18,39) : « Adonaï hou ha’elohim - C’est la Transcendance (le Nom) qui est le Dieu ». Quelqu’un qui dirait l’inverse, à savoir que Dieu est la Transcendance, sortirait du Judaïsme : il affirmerait que la force est ce qui dirige et donne sens à la Transcendance, et soumettrait ainsi la Transcendance au principe de la force. Il y a des religions comme cela qui se prosternent devant la force et n’ont de culte que pour elle - qui ne jurent que par la force, la réussite, la gloire, la puissance, les peuples conquis et soumis…

Le Judaïsme lutte contre ces idolâtries, car il refuse de se prosterner devant la force : il ne se prosterne que devant la Transcendance, qui n’est pas une force, même si elle est la source de toutes les forces – et est par là capable en même temps de les fonder et de les critiquer. Car derrière toutes les forces qui nous dirigent et nous orientent – et sans lesquelles nous ne pourrions pas vivre -, il y a l’appel éthique qui dirige et oriente toutes ses forces vers un au-delà de la force. Seul lui est capable de les unifier et de leur donner un sens par-delà elles-mêmes, leur violence et leur brutalité. Seul cet appel éthique – qui retentit dans le retrait de toute force, dans une parole qui exprime sa Volonté pour s’en retirer et faire chabat – est le Lieu qui nous appelle et nous oblige à l’Infini.

Yedidiah Robberechts

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Tragique passivité par Floriane Chinsky

(rabbin   massorti  )

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Commentaire d’Alain Michel (rabbin   massorti   et historien)
Va’era : le processus de la délivrance

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