Entretien avec Héléna Fantl, Rivon Krygier revient sur le sens de la cacherout : ses fondements, ses implications, son actualité...
Sa finalité
La cacherout fait partie des houkim, lois dont la finalité n’est pas explicite. Que dit néanmoins la tradition de sa finalité ?
Il y a eu beaucoup de débats et d’investigations autour des « raisons » qui motivent le respect de la cacherout.
Le motif d’hygiène a parfois été évoqué. Ainsi, Maimonide considère que le porc est un animal dégoûtant, qui mange tout et n’importe quoi, et se complaît dans la boue . Mais est-ce la raison de l’interdit ou un indice d’impureté ?
Le consensus global qui ressort à travers les générations est que les viandes interdites ne le sont pas pour des raisons hygiéniques. Il y a des animaux « propres », voire dont on a pu recommander la chair pour des raisons médicales ou sanitaires, tels la viande de cheval ou de chameau, et qui sont pourtant « impurs » à la consommation.
Certains rabbins ont émis l’idée, théoriquement défendable mais non probante, que certaines substances auraient une influence spirituelle, positive ou négative, sur ceux qui les consomment. Généralement, on admet que si le Créateur a choisi de nous imposer un régime, Il l’a fait pour une (bonne) raison ! Somme toute, la foi est aussi une affaire de confiance, c’est-à-dire abandonner le désir de tout maîtriser et admettre une part d’inconnue. Dieu est le « médecin de toute chair » et le fidèle tel le patient confiant reçoit sa prescription.
Quoi que l’on puisse en dire, il apparaît que l’objectif visé n’est pas la santé mais la sainteté (Lévitique 11,43-47), cette dernière étant à comprendre comme une spiritualisation de l’être. Elle est hypothétiquement obtenue par le régime en soi qui préserverait de certaines substances nuisibles à un état mental requis.
Elle est sûrement obtenue par la discipline de vie que la cachrout induit : frugalité, modération, absence de gloutonnerie ou de goinfrerie. Le plaisir, le goût, n’est plus roi mais assigné à la finalité de sainteté. Par ailleurs, un des effets de cette observance est tangible : observer la cachrout aide le peuple juif à maintenir sa spécificité et donc sa vocation spirituelle, tout simplement parce qu’en suivre le régime nous singularise.
Enfin, la cachrout est porteuse d’une symbolique et d’une éthique qui a grande valeur éducative, comme nous allons tenter de le montrer.
Principes essentiels
Pourrais-tu rappeler les principes essentiels des règles de la cacherout ?
Le champ de la cacherout se focalise principalement autour de la consommation d’animaux. Elle se décline en trois niveaux :
• Espèces animales explicitement permises ou interdites, listées un peu à la manière d’une prescription médicale.
• Interdit du sang (et certaines graisses) : le sang véhicule la vitalité du corps, et celle-ci n’appartient qu’à Dieu.
• Interdit du mélange d’aliments lactés et carnés : symbole d’une séparation du principe de vie (le lait) et du principe de la mort (la chair inanimée), comme le dit Philon.
Un soucis éthique
Il faut rappeler que selon le récit de la Création (cf. Genèse 1,29-30), Dieu accorde aux hommes (et aux animaux) une nourriture exclusivement végétale ! Le régime végétarien semble être l’idéal originel et idéal. Selon certains, il sera restauré dans les temps à venir !
C’est ainsi que le rav Abraham Isaac Kook (Olat ha-raya) interprète le passage d’Isaïe (11,7-9) selon lequel, à la fin des temps, « le lion se nourrira de foin comme le bétail et plus aucun animal ne sera abattu sur la montagne sainte. » Ce n’est qu’après le déluge (cf. Gn 9,2-4) que Dieu autorise la consommation de la viande . Ce qui peut se comprendre comme une concession, un exutoire, une canalisation de la violence, et l’instauration d’une distance entre l’espèce humaine et les autres êtres animés. Les hommes ont fauté, ils ont versé le sang et se sont corrompus. Le dévoiement a été également compris par les rabbins comme des rapports sexuels entre espèces différentes, et notamment la zoophilie. Mais il est possible que cela soit la consommation sauvage d’animaux (et d’humains) de même espèce qui ait fait problème, et induit l’autorisation sous certaines conditions du régime carné.
L’humanité n’est pas encore mûre pour vivre dans l’harmonie, symbolisée par le régime végétarien. Rappelons également que lors de la sortie d’Egypte, les Hébreux qui errent dans le désert demandent de la viande telle qu’ils la mangeaient en Egypte. Ils pleurent la bonne « marmite de viande » (Exode 16,3) plus « chère » à leurs yeux que la liberté ! Mais le régime auquel ils sont astreints est celui de la manne – nourriture végétarienne par excellence. Notons que corollairement, la génération de Noé est la première où le meurtre est puni par la peine de mort. Le versement du sang, animal ou humain, est désormais codifié.
En l’occurence si l’autorisation de consommer des animaux intervient comme une concession, elle s’accompagne d’une restriction : les humains sont autorisés à consommer de la viande, mais pas tout de l’animal. Ils ne doivent pas consommer le sang, qui incarne la vie, vie sur laquelle ils n’ont pas droit d’emprise.
Pour la Bible, la consommation du sang de l’animal revient à consommer une partie/trace de son âme, mais sans que les conséquences ne soient explicitées. Il s’agit peut-être de « juguler l’animalité ». Si l’on sait que certaines substances ont bien des effets psychotropes connus (aphrodisiaques, excitants, analgésiques, hypnotiques, etc.), et que cela n’a rien d’absurde en soi que de suspecter que la consommation de la chair de certains animaux puisse avoir telle ou telle influence, il n’est pas pour autant possible de mesurer ou prouver ce genre de chose. Il s’agit avant tout d’un « tabou » : ne pas s’emparer de ce qui ne nous appartient pas.
Les lois noahides – dont celle qui interdit de prélever un membre ou une part sur un animal encore vivant – sont données à toute l’humanité, pas seulement aux Juifs. Selon certaines sources anciennes telles le livre des Jubilés mais aussi quelques sources bibliques et rabbiniques, il semble bien qu’à l’origine, la consommation du sang ait été considérée comme interdite à toute l’humanité, et pas seulement celle de la chair vivante arrachée.
Les animaux devaient donc être tous égorgés pour les vider de leur sang, avant toute consommation. C’est d’ailleurs ce que feront les musulmans. Mais pour la tradition juive, il ne suffit pas d’égorger les animaux autorisés à la consommation. Il faut encore en extraire, dans les limites du possible, un maximum de sang « animé », « in vivo », c’est-à-dire en situation de flux. On trempe, sale la viande et on la rince ou alternativement, on passe les chairs au dessus d’une flamme pour brûler le sang qui dégorge, où l’on grille la viande à même le métal sans agent de cuisson (telle l’huile ou l’eau). La viande traitée ainsi est « dévitalisée », réduite en quelque sorte, à une substance végétale.
Choix des animaux
Peut-on relever, hormis les indices explicites de la Tora, des critères qui expliqueraient l’interdiction de consommer certains animaux plutôt que d’autres ?
D’une façon générale, on observe qu’il y a très peu d’animaux autorisés à la consommation : quelques mammifères d’élevage, et quelques sauvages tous herbivores. Ils sont végétariens et donc non prédateurs, ce qui constitue une sorte d’indice pacifique. Sont exclus tous les animaux agressifs (y compris parmi les êtres marins et les oiseaux) : carnivores et rapaces, qu’ils tuent eux-mêmes leur proie ou qu’ils soient charognards ou dévorant les déchets en décomposition.
Notons que la mise à mort des animaux obéit à la même précaution : la chasse est toujours interdite. Les animaux doivent être abattus après bénédiction, d’un seul trait par un couteau extrêmement effilé afin d’assurer une coupure quasi indolore, immédiate, nette et profonde de la trachée et de l’œsophage ainsi que des artères carotides et de la veine jugulaire.
Les sabots fendus et fourchus et la rumination ne sont pas les raisons de l’interdit mais des signes distinctifs des espèces autorisés. Certains pourtant, tel Philon d’Alexandrie, y ont vu une allusion symbolique : le sabot fendu symboliserait le discernement, et la rumination renverrait à une assimilation lente et réfléchie des idées, au travail de mémoire et de conscience des bienfaits divins.
Séparer le lait et la viande
Qu’en est-il de la séparation du lacté-carné ? Il n’en est pas explicitement question dans la Tora.
En effet. Le verset qui est à l’origine de la pratique de la séparation des mets carnés et lactés « tu ne cuiras pas le chevreau dans le lait de sa mère » intervient à trois reprises dans la Tora : Exode 23, 19 ; 34,26 et Deutéronome 14,21.
Ce verset n’implique pas en soi un régime général de séparation du lait et de la viande, qui est pourtant devenu une des lignes de force de la pratique culinaire juive. Le sens obvie est très clair : il ne faut pas cuire un jeune animal dans le lait maternel ! Bien qu’une autre lecture reste possible : « ne cuisine pas le chevreau alors qu’il est encore allaité par sa mère ». Ce n’est pas le lieu de développer ce point mais ne perdons pas de vue que le judaïsme n’est pas la religion de la Tora mais de l’interprétation de la Tora. Et « l’interprétation » n’est pas une simple explication ou application mais une mise en perspective. Telle est la vocation de la loi orale et l’autorité rabbinique. De fait, le judaïsme rabbinique a généralisé les choses, séparant tout laitage de toute viande, et même pris moult précautions jusqu’à assigner une séparation de vaisselle de crainte que se mélange la moindre quantité de ces substances.
Quel est le sens de cet interdit ? La plupart des commentateurs s’accordent pour dire qu’il est indigne de tuer et manger un jeune animal alors qu’il est encore lié symbiotiquement à sa mère. D’autres commandements de la Tora vont dans le même sens, à savoir d’honorer l’instinct maternel, un tant soit peu. Ainsi, est-il interdit de prendre un jeune animal au cours de ses sept premiers jours. Autre exemple, lorsqu’on veut prendre des œufs ou des oisillons dans un nid, il faut d’abord éloigner la mère afin qu’elle ne voie pas ce qui est en train de se passer. Dans cette logique, on peut comprendre que le fait de cuire un jeune animal dans le lait de sa mère est un comble du cynisme et d’insensibilité.
Il semble que cet interdit ait été, dans un premier temps, compris comme une interdiction de cuire un jeune animal dans du lait. L’élargissement de la règle ne serait intervenu qu’après la destruction du second Temple. Les lois régissant la pureté et d’impureté, les sacrifices, sont tombés en désuétude, et les Sages ont probablement cherché à maintenir un régime alimentaire spécifique afin d’assurer la pérennité du peuple juif. Ce n’est qu’à partir de cette période que le verset a commencé à être interprété comme « vous ne mélangerez pas de viande dans le lait ». La volaille a été incluse dans la viande dans ce contexte plus tardivement, pour éviter les confusions. Le poisson, considéré comme animal au sang moins développé, n’est pas concerné par cette règle.
Je crois que Philon d’Alexandrie, avec sa propre logique, aide beaucoup à comprendre la généralisation opérée par les Sages du Talmud . Le lait, dit-il, est le symbole, le principe même de la vie et d’une relation nourricière. La viande, à l’inverse, est le résultat d’une mise à mort. Le mélange des genres est choquant et on ne doit pas y devenir insensible. A mon sens, donc, les Sages n’ont pas trahi le sens originel du verset. Ils l’ont généralisé.
Cachère sans obsession
Quelle place accorder à la cacherout, aujourd’hui ? Et quel degré de rigueur ?
Manger cacher est essentiel pour la tradition juive.
Comme je l’ai dit, la cacherout est un marqueur identitaire, une discipline qui éduque à la sainteté et au respect de la vie, et c’est enfin un instrument efficace de maintien de notre identité face à l’assimilation. Toutefois, pour reprendre un calembour de Manitou, il ne faut pas que « la cacherout cache la route » !
Le risque est grand et très réel que le ritualisme prenne le pas sur le sens. Au fil des siècles, les règles se sont complexifiées. Il faut un « diplôme d’ingénieur » pour en connaître tous les rouages, et l’observance en est devenue obsessionnelle. S’est forgé un idéal ascétique qui confine à l’aseptique, la conception d’une nourriture qui doit rester chimiquement pure, car menacée constamment par des corpuscules.
On en a fait une affaire de substances hautement toxiques ! Quand l’esprit se tourne vers la chimie des particules, elle se détourne de la dimension réelle qui est celle de la chimie relationnelle, entre les humains !
On ne me fera pas croire que la minutie qui confine souvent à l’obsession et à la ségrégation ne détourne pas des objectifs éthiques. Inciter les gens à posséder deux cuisines chez soi pour mieux respecter la séparation viande-lait est pour moi une dérive maniaque. À ce compte-là, il faudrait rétablir la polygamie, une femme pour le lait, l’autre pour la viande…
Attention ! Il ne s’agit pas de minimiser l’intérêt et l’importance de la cacherout, mais d’avoir du discernement, car une application à la loupe des aspects techniques de la cacherout risque de faire perdre la vue sur l’essentiel. Et cet essentiel, c’est la route : le cheminement spirituel et moral, le « derèkh èrèts », la bienséance, et les actions « le-chèm chamaïm », en vue du Ciel, la transcendance.
En pratique ?
Il faut à mon sens conserver un régime sérieux et rigoureux de cacherout. Mais il est impératif de réfléchir à rationaliser c’est-à-dire à simplifier les règles et d’alléger la casuistique, et d’être capable de mise en adéquation aux conditions modernes.
Halte aux crispations. Il faut développer une logique de cacherout à la fois fidèle à ses principes et non ghettoïsée. Une réforme importante dans le sens de l’intégration au monde moderne consiste à ne plus requérir de tremper tous les nouveaux ustensiles de cuisine dans le mikvé , ou d’exclure tous les aliments cuits par les non-Juifs. Nous ne vivons plus dans un environnement idolâtre, ce qui était à l’origine de ces mesures !
D’intéressants responsa rabbiniques ont déjà été écrits à ce sujet. En bref, il faut maintenir les codes qui nous singularisent et nous renforcent, les appliquer sérieusement, mais éviter ce jusqu’auboutisme qui signe aussi le refus d’intégration dans la société et envisage l’environnement humain uniquement sous l’angle de l’hostilité et de la menace.
Il y a d’autres moyens que l’aseptisation, l’autisme et la paranoïa pour lutter contre les risques de dilution identitaire. Je parle ici de notre public qui a fait le choix résolu de la modernité.
Que ceux qui veulent s’en tenir aux règles antiques et adopter une posture de confinement soient respectés mais qu’ils ne puissent pas imposer leurs normes rigides à tous, ou intimider ceux qui en ont une autre vision. Car tel est le mécanisme redoutable de la surenchère. Dès l’instant où un clan s’impose une discipline plus rigide, il en impose aux autres sur lesquels il jette un discrédit.
C’est l’histoire de la viande « glatt cachèr » qui a disqualifié la norme de viande simplement « cachér » ou de fruits et légumes jugés désormais inconsommables car pouvant porter de micro-organismes. Des gens qui mangeaient cachère ont appris à leur corps défendant que leur viande ou leurs fruits et légumes n’étaient plus acceptables par les « vrais » observants…
Je veux bien qu’on progresse en termes de normes de cachrout – chaque cas méritant étude et discussion – mais pas par le dénigrement et les rapports de force. Attention, soyons vigilants sur les phénomènes de spirale, en raison de la pression sociale. Ce que l’on appelle « progrès » peut cacher, en un autre sens, une régression.
C’est parfois difficile. Il est arrivé à chacun d’entre nous d’être invités pas des amis non-juifs qui, pour nous prouver combien ils respectent notre pratique, nous ont préparé… un plateau de fruits de mer !
En effet, drôle de surprise ! Dans un cas comme cela, au besoin, il faut se confondre en excuses, expliquer sa position – et ne pas manger ce qui est interdit. Somme toute, il arrive que quelqu’un ait un régime alimentaire pour des raisons spirituelles (végétarisme) ou médicales et cela est respecté et respectable. Mais la politesse et la bienséance consistent, quand on se trouve invité, d’anticiper en prévenant la personne du régime singulier qui est le nôtre, avec toute la délicatesse requise.
Cacherout et assimilation
Pourrait-on dire que c’est en grande partie grâce à la cacherout que nous sommes encore là aujourd’hui, après tant de générations de diaspora ?
Sans aucun doute, même si on ne peut parler ici d’assurance tout risque ! Le régime alimentaire spécifique ne permet pas une prise des repas sans précautions, et par là, a limité la dissolution du peuple juif dans les cultures avoisinantes, ce qui arrive à la majorité des ethnies minoritaires quand elles ne recèlent pas un tel dispositif.
Nous, juifs massorti , nous sommes donnés un drôle de défi, qui requiert souvent un sérieux sens de l’équilibriste. Nous voulons nous intégrer pleinement dans la société, entretenir les rapports les plus conviviaux avec les personnes non-juives, tout en voulant maintenir notre identité et notre vocation singulière de peuple.
Cela implique des délimitations que ce soit en matière de mariages ou de repas partagés. Précisément, dans le monde moderne où nous partageons les repas amicaux avec les non-juifs, veiller aux spécificités alimentaires revêt une importance accrue, pour que ne soit jamais oubliée notre singularité.
Inutile d’insister sur le fait que le danger d’assimilation, de dilution culturelle et religieuse, est très grand. Si l’on tient à son identité, et que l’on ne veut pas pour autant s’enfermer dans un ghetto relationnel, il faut s’armer de réserves et de précautions.
Cacherout Massorti ?
Enfin, comment cela fonctionne-t-il au sein du mouvement massorti mondial ? Y a-t-il des décisionnaires qui fixent les règles et normes de ce qui est cachèr ?
Globalement, oui. Sauf que l’organe de décision est la Rabbinical Assembly. C’est un positionnement qui se situe clairement entre l’approche orthodoxe où le système de prise de décision est plus pyramidal – il y a généralement l’un ou l’autre décisionnaire prédominant qui dicte la conduite à tenir – et l’approche libérale où les rabbins de communauté ont une grande autonomie de décision, y compris jusqu’à se départir de règles fondamentales au cœur des codifications rabbiniques.
Pour le mouvement massorti , la dimension collégiale dans le processus de décision est un pilier de notre conception de la Halakha . Comme c’est le cas dans beaucoup d’autres domaines, le mouvement massorti est à la recherche d’un équilibre, et d’un consensus. Un collège de spécialistes rend des avis motivés, publie des responsa , avec des degrés d’approbation : unanimité, majorité, minorité suffisante. La prise de décision finale appartient alors au mara de-atra. (non pas marâtre mais maître de lieu), c’est-à-dire au rabbin de chaque communauté, qui tranche en tenant compte des degrés de consensus, du contexte local et en consultation des acteurs communautaires.
En matière de cachrout , les normes prescrites sont sensiblement les mêmes que celles adoptées dans l’orthodoxie pour tout ce qui concerne les lois fondamentales : nécessité d’abattage rituel, séparation stricte des aliments carnés et lactés, etc. Ici et là certains allègements existent lorsque l’on dénote des crispations qui à nos yeux, et pour notre public, ne se justifient pas.
Mais le mouvement massorti est unanime pour encourager tous les juifs à respecter cette discipline fondamentale, au cœur de notre pratique religieuse.
Messages
Merci à RK de cette très intéressante synthèse.
Deux remarques et deux questions, si vous le permettez :
1) Vous faites très justement remarquer la tendance actuelle à la surenchère, qui va jusqu’à interdire certains fruits naguère parfaitement cachers. En même temps il est difficile de ne pas faire le lien entre cette surenchère et le processus de "généralisation" (ou d’extrapolation) que vous analysez par ailleurs à propos du mélange lacté/carné. Le passage d’un précepte très particulier ("ne pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère") - dont l’origine est probablement un rite idolâtre -, à la somme d’interdits rabbiniques concernant les mélanges de lacté et de carné, volailles comprises, peut certainement se justifier ; mais il me semble quand même que ce sont des justifications a posteriori. Autrement dit, ces règles de séparation sont devenues une composante tellement centrale de l’identité juive à travers le temps qu’il est devenu impossible pour un rabbin , fût-il ouvert, de revenir dessus ; il ne reste alors plus qu’à les justifier philosophiquement (et vous le faites avec beaucoup d’intelligence et de finesse, dans cet entretien mais aussi dans un article paru dans L’Arche), en mettant en garde contre la tournure obsessionnelle qu’elles peuvent prendre (mais là, c’est trop tard : le mal est fait). Aujourd’hui, d’autres rabbins , sur d’autres points, imposent des normes de casherout encore plus restrictives ; si elles finissent pas s’imposer, il y a toutes chances que, dans un ou deux siècles, un rabbin massorti finisse par s’y résoudre, un peu à contrecoeur, en expliquant qu’elles ne sont la généralisation de préceptes anciens. Comme il est trop tard pour protester contre la séparation stricte des vaisselles, vous ironisez avec beaucoup d’humour sur le dédoublement des cuisines. C’est peut-être là un symptôme de cet équilibrisme dont vous faites, à juste titre, une caractéristique de votre mouvement. Où est la limite entre la rigueur et la manie ?
2) J’apprécie que vous ayez l’audace de revenir sur le caractère dirimant de la cuisson par un non-juif - règle dont le maintien ne manque pas d’avoir, aux yeux de nombre de consciences modernes (juives ou non-juives d’ailleurs), des résonances quasi racistes, et en tout cas choquantes. Pourtant, n’est-ce pas le critère qui préside encore à la "casherout" du vin ? Je crois connaître la réponse des orthodoxes à cette objection : même si le vin ne fait plus l’objet de bénédictions idolâtres (interdit d’origine "toranique"), un nterdit rabbinique est maintenu pour éviter l’excès de convivialité entre juifs et non-juifs. Cette objection me paraît faible : celui qui voudrait à tout prix se soûler au vin casher ou au whisky avec des non-juifs pourrait le faire facilement... Quelle est la position du mouvement massorti par rapport à cette question du vin casher ? Relève-t-elle aussi à entériner un usage devenu une composante de l’identité juive ?
Bien cordialement,
PZ.
Monsieur,
Je me permets de répondre pour Rivon qui complétera s’il le désire.
Nous sommes d’accord sur le caractère parfois névrotique, voire obsessionnel, susceptible de déboucher sur quelque chose d’assez malsain, de l’ordre de la poursuite infinie d’une sainteté absolue mais illusoire, de la pratique de certaines règles. Le problème ne se pose pas que dans le domaine de la kashrout , mais dans tous ceux de la loi juive.
On confond vite exigence et travail sur soi avec une surenchère qui a souvent plus à voir avec un jeu social et un besoin de reconnaissance qu’une véritable auto-discipline spirituelle.
Dans le champ de la kashrout , le principe du rapport à l’Autre est particulièrement problématique, que ce soit celui du « halav israël » du « bishoul » ou encore du vin poussé à des excès assez kafkaïens. Nous traiterons bientôt ces questions sur ce site. En attendant la question est déjà partiellement abordé dans l’article sur les aditifs.
Un rabbin Massorti ne se résout pas à l’influence rigoriste de l’ultra-orthodoxie actuelle. Nous sommes au contraire prêts à payer chèrement le prix de notre indépendance et de notre droit de critique et de penser librement. On nous le reproche suffisamment. Pas d’inquiétude là-dessus. Nous ne baisserons pas la garde.
Par contre nous considérons que certaines dynamiques historiques, y compris parfois dans le sens de la rigueur, peuvent avoir des retombées positives ou créer du sens. Tout est question de dose et surtout de finalité spirituelle.
Le plus grand problème en ce qui concerne la surenchère dans la kashrout est la coupure qu’elle engendre vis-à-vis du social et le rapport à la « pureté » qui est un domaine à manier avec précaution car porteur de potentielle violence vis-à-vis de l’impur, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas moi…
Pour vous faire sourire : cet été, réunion familiale dans un grand jardin avec certains proches ultra orthodoxes . Saison des fraises des bois, il y en avait partout. Une ribambelle d’enfants se sont vus interdit d’y toucher de peur des petits insectes qui auraient pu s’y cacher… Pour le plus grand bonheur de ma ribambelle à moi qui arrivée en retard trouva les fraises intactes et se jeta dessus sous l’œil des autres enfants. Nous n’en sommes pas encore au masque jaïn, mais cela viendra peut-être et ira très bien avec le chapeau quasi de règle dès 13 ans. Les Jaïns le font par soucis des insectes, ce qui est plutôt sympathique. Nous, juifs, craignons pour nous-même en oubliant un peu vite que tout notre appareil digestif, vu au microscope laisserait apparaître de sacrés monstres à faire pâlir une fraise des bois.
Yeshaya Dalsace
erratum : il fallait lire, dans la dernière phrase de mon message précédent, "revient-elle... à entériner" et évidemment pas "relève-t-elle", comme je l’ai laissé par erreur. Cordialement, PZ.
Bonjour,
je fais partie du courant orthodoxe meme si je l’avoue le discours massorti me parle et me touche bien plus.
Je voulais juste savoir si vous pouviez me donner les références des Responsa que vous mentionnez au sujet du mikvé pour les ustensiles et de la consommation des produits cuits par les non juifs car je suis moi même intimement convaincu de la neccesité d’une réforme en ces domaines mais tant que je ne pourrais pas trouver appui sur des grands decisionnaires je préfère m’abstenir de changer la Halakha .
Merci d’avance.
Shalom Rav,
je m’intéresse au mouvement massorti , et je voulais savoir si les listes des produits casher autorisés sont les mêmes que ceux du consistoire ?
Bonne préparation pour Pessach et cordial shalom de Colmar !