Dans le Talmud (Brakhot), des rabbins , discutent de la nudité des femmes. En fait, ils discutent entre hommes des qualités érotiques des femmes ou plus exactement de certaines parties de leur corps. Chacun y va de son impression. L’un d’eux, Shmouel, exprime l’idée que la voix féminine représente une source érotique. Je ne sais si cela est vrai de toutes les voix, mais cela est vrai de certaines et suis d’accord avec ce texte. Une voix peut-être très troublante et beaucoup de choses passent par la voix.
Dans un autre traité du Talmud (Sota 48a) il est dit au nom de Rav Yossef : « lorsque des hommes chantent et que des femmes répondent c’est de la débauche. Lorsque des femmes chantent et que des hommes répondent, c’est du feu dans du lin ! ». C’est-à-dire que la charge érotique devient incontrôlable. La question n’est pas si la discussion talmudique est fondée ou non, exagérée ou pas, mais ce que nous en faisons concrètement aujourd’hui.
A partir de cette discussion talmudique, certains décisionnaires ont interdit, entre autres choses, le chant féminin, que la femme soit seule, en chorale mixte ou même si la voix est enregistrée (Ovadia Yossef ). Certains ont restreint l’interdiction à la seule lecture du shéma qui exige une plus forte concentration, d’autres l’ont étendue à toute circonstance de sainteté, d’autres enfin à toute circonstance et même à la simple parole.
La crainte serait dans le contexte talmudique de déconcentrer un homme dans sa prière ou son étude.
Dès le Moyen Âge, certains rabbins pensent que tout cela dépend du contexte social et culturel et que dans certains cas, cela n’a aucune importance. Alfassi (premier grand législateur juif) n’en fait même pas mention, montrant par là qu’il n’y voit aucun interdit. Il en est de même pour Tossafot . Seul le Meïri en fait mention. Maimonide et Baal Hatourim ne s’y intéressent que dans le cas d’une femme mariée face à un amant potentiel mais n’en font aucune généralité légale. Signalons au passage que Maïmonide s’oppose à l’écoute de toute musique, art qu’il associe à la débauche. Dans le Shoulkhan Aroukh (16ème siècle) également, l’interdiction est circonstanciée mais pas systématique et le Rama précise que cela ne concerne pas une voix à laquelle on est habitué. Maguen Abraham insiste pour sa part sur l’interdiction de la voix chantée d’une femme mariée.
Nous ne pouvons ici que survoler toutes ces sources, mais il est tout à fait clair que ce qui préoccupe les rabbins , c’est de mettre une barrière à toute possibilité d’adultère d’une femme mariée.
Un saut qualitatif va avoir lieu au 19e siècle avec le Hatam Sofer , créateur de la ligne dure de l’orthodoxie , qui s’opposa radicalement à la création d’un chœur mixte dans la synagogue de Vienne ; pour la première fois dans toute l’histoire du débat autour de la voix féminine, le Talmud Sota, que nous avons cité plus haut, fut apporté comme argument. Dès lors, certains décisionnaires orthodoxes se montrèrent de plus en plus sévères sur la question. Moshe Feinstein interdit d’écouter chanter une femme dès l’âge de 12 ans. Ovadia Yossef l’interdit même à la radio. Il va de soi qu’une femme ne prendra pas la parole en public dans ces milieux, ce serait considéré comme une grande indécence. Pourtant le rabbin Weinberg (très orthodoxe ) autorise les femmes et les hommes à chanter ensemble, notamment en France, en prétextant que la mentalité s’y prête et qu’il est beaucoup plus important de participer à la vie juive que d’observer de telles restrictions qui sont à ses yeux seulement des coutumes et non la loi elle-même.
Ce rapide tour d’horizon montre bien que ce genre de règles est totalement circonstancié. Il s’agit beaucoup plus de mentalité et de sociologie que de loi. C’est pourquoi il est logique, pour le mouvement Massorti , de permettre le chant féminin, d’autant plus qu’il n’y a strictement aucun aspect malsain dans le contexte synagogal.
Anecdote :
Récemment un Grand rabbin a prit la décision d’interrompre des chants durant la fête de Simhat Tora, afin de faire taire la voix des femmes (au balcon). Cela peut paraître scandaleux aux esprits libres, mais c’est tout à fait légitime dans un certain milieu juif. Ce rabbin a raison de le faire en tant que disciple de l’ultra orthodoxie . La question n’est pas la légitimité de la décision qui me parait normal de son point de vue fondamentaliste, mais les circonstances sociologiques et idéologiques. En effet, le public de la grande synagogue en question se veut intégré aux valeurs de la modernité. Ce sont des juifs de base, traditionalistes pour la plupart. A quels courants du judaïsme appartient la grande synagogue ? Sous quelle bannière se place l’institution consistoriale ? La réponse est dans la position du rabbin .
Le vrai problème n’est pas chez le rabbin mais chez le public du consistoire . Celui-ci doit apprendre à être adulte et responsable. Il doit réfléchir et choisir en connaissance de cause à quel courant ou institution du judaïsme il veut appartenir, quelles valeurs il a envie de défendre.
Comme l’a très bien dit le Grand rabbin en question : « si vous voulez chanter, Mesdames, vous n’avez qu’à aller chez les Massorti . »
On aurait pu imaginer qu’un grand groupe de femmes se serait levé et serait effectivement parti. Personnellement, il n’aurait pas fallu me le dire deux fois et j’aurais attendu de mon mari qu’il en fasse autant ! Il n’en fut rien... Ces dames ont arrêté de chanter et la figure paternelle du rabbin l’emporta sur le désire légitime de s’exprimer. Les esclaves courbèrent l’échine sous le coup du sort, rouspétèrent en silence...
Hélas, les gens se plaignent de l’extrémisme des rabbins , mais ne réfléchissent pas et surtout ne tirent aucune conclusion de leur plainte.
Le rabbin semble être là pour faire peur et la plupart trouvent cela normal. "Si le rabbin le dit..."
Le sens de la liberté et de la dignité, le courage ne sont pas assez fort chez tous ces juifs et juives qui ne se sont pas levés en bloc pour effectivement venir à la synagogue Massorti . Comme le disait un rabbin hassidique, fêter Pessah est facile mais la chose la plus dure à faire est d’arriver à arracher l’Égypte, c’est-à-dire l’aliénation, du cœur des juifs.
La voix des hommes
Constatons enfin que cette discussion est à sens unique. Les femmes entre elles pourraient également discuter de ce qui est érotique chez les hommes, je suis certain qu’il y a des femmes qui trouvent la voix de certains rabbins à se pâmer (pas la mienne bien entendu). C’est en tout cas l’opinion du Sefer Hassidim (13ème siècle) qui voit un problème possible en ce sens.
Yeshaya Dalsace
Le chant de Talila trouble le consistoire
Les juifs de la Varenne-Saint-Hilaire à Saint-Maur ( Val-de-Marne) auront finalement eu droit à leur concert de musique yiddish, le 28 février. La prestation de l’artiste Talila, chanteuse yiddish reconnue, a pourtant failli être annulée car jugée "non conforme à la loi juive" par le grand rabbin de Paris, David Messas. C’est en tout cas ce que l’organisateur de la soirée, Michel Dluto, a expliqué dans une lettre adressée à la chanteuse, avant que, face aux réactions d’incompréhension, l’interdiction soit levée.
Selon la halakha , la loi juive, une femme ne peut chanter devant des hommes, car "la voix exprime la nudité". Talila connaît cette règle mais assure que c’est la première fois qu’une interdiction de ce type lui est signifiée. "Je chante depuis trente ans dans la communauté juive. En général, soit les religieux sortent de la pièce soit ils ne viennent pas m’écouter." L’artiste voit dans cette injonction "un tour de vis et une surenchère" du consistoire face à une frange de la communauté juive de plus en plus "orthodoxe .". Delphine Horvilleur, rabbine du Mouvement juif libéral de France (MJLF) juge "aberrante" une telle interdiction qui participe, selon elle, "d’une ignorance entretenue". Sous couvert d’anonymat, un rabbin consistorial juge cette décision "incompréhensible".
Contacté, le grand rabbinat de Paris n’a pas donné suite à notre appel. La chanteuse lui avait adressé une lettre dans laquelle elle interpellait le rabbin Messas : "Ne craignez-vous pas que la position radicale que vous imposez dans un lieu culturel (et non cultuel), en vous prévalant de la loi religieuse, puisse suggérer à certains que l’intolérance des religions est désormais un phénomène généralisé ? " Talila n’a pas obtenu d’explication écrite.
Article sur Talila publié dans Le Monde du 06.03.10
Dans « The Voice » en 2013, Ofir Ben Shitrit, 17 ans, vivant à Ashdod et élève dans une école religieuse a été suspendue 15 jours de son école pour avoir participé à l’émission et chanté devant…un public mixte. "La musique rend les gens heureux et je pense que nous pouvons à la fois chanter et étudier la Torah", a-t-elle répliqué.
Reportage sur le chant des femmes
Le rabbin massorti israélien Dov Hayoun explique le principe de "kol beisha arev", "la voix d’une femme est agréable" (inversion du slogan interdisant la voix féminine). Il reproche la focalisation sur cette question qui provoque une ambiguïté, là où il n’y en a pas forcément.