(reportage paru dans le Point du 12/04/2012)
Amir Menashe est journaliste. Juif d’origine iranienne, il se souvient de son enfance à Téhéran, en Iran : "Je ne souffrais pas de violences physiques en tant que Juif. Nous pouvions pratiquer notre religion et étions autorisés à acheter du vin pour le shabbat, contrairement aux musulmans par exemple. En revanche, nous étions clairement discriminés en tant que minorité. À l’instar des musulmans sunnites et des chrétiens, nous ne pouvions pas exercer certains métiers, notamment au sein de l’armée ou dans la fonction publique. Nous gardions toujours un profil bas et nous taisions notre identité, par mesure de précaution." Une peur qui est toujours palpable aujourd’hui : contactés par Le Point, plusieurs membres de la diaspora juive d’origine iranienne ou de la communauté juive de Téhéran ont refusé de s’exprimer. Ils nous ont en outre déconseillé "de contacter en Iran des personnes de confession juive, à cause du risque de mise sur écoute et de suspicion d’espionnage".
Contacté par Le Point, Arash Abaie vit en Iran. Il a accepté de répondre, uniquement par e-mail, à quelques questions. "En Iran, explique-t-il, le judaïsme, le christianisme et le zoroastrisme sont les trois religions reconnues par la Constitution - avec l’islam bien sûr - et autorisées à avoir des députés au Parlement. Lorsque l’on appartient à l’une de ces trois religions, on a plus de droits que ceux qui ne sont pas reconnus : les bouddhistes, les baha’is et les athées par exemple." Il confirme que les Juifs peuvent pratiquer leur religion, mais ajoute "qu’il faut faire profil bas" et qu’il est interdit de faire du prosélytisme ou de pratiquer devant des audiences musulmanes. "Lorsque l’on est juif en Iran, le plus dur est de subir la mauvaise compréhension du problème israélo-palestinien, dit-il. Beaucoup de Juifs iraniens souffrent d’animosités à leur égard à cause de cet amalgame."
Amir Menashe, lui, a choisi de partir. Il vit en Israël depuis 52 ans : "Je voulais vivre dans un pays libre et démocratique." Il ajoute qu’aujourd’hui, "lorsque l’on vit en Iran, il est impossible de se rendre en Israël sous peine d’être emprisonné au retour." Une situation qui condamne la plupart des Juifs iraniens à ne plus revoir leurs proches, si ceux-ci vivent en Israël. Présentateur pour Kol Israël, la seule émission de radio diffusée tous les jours en Iran depuis Israël, Amir Menashe s’amuse d’avoir pour public "99 % de musulmans, et sans doute Khamenei !", même s’il n’exclut pas quelques tentatives du régime islamiste visant à brouiller la diffusion de l’émission. Si son ambition est de "créer des liens d’amitié entre les deux pays", il attribue le succès de son émission au fait qu’en Iran, il est "difficile d’obtenir des informations objectives".
Une cause à laquelle il n’est pas le seul à croire. Kamal Penhasi est né à Téhéran, dans une famille juive. En 1979, trois mois après la révolution islamique, il décide de partir et de s’installer en Israël - où il vit toujours - et où il est rédacteur en chef du magazine Shahyad, l’unique publication en langue persane du pays. À travers sa position de directeur de l’organisation Iran Israël, il vise à rapprocher les communautés. "Il y a une grande différence entre le régime et la population iranienne, explique-t-il. En tentant de rapprocher les communautés en Israël et en Iran, notre action vise à créer des liens qui font fi des problèmes politiques."
En cas de conflit ouvert entre Israël et l’Iran, il est difficile de prévoir la réaction de Téhéran envers la minorité juive. Mais Kamal Penhasi, qui a toujours des proches en Iran, ne cache pas son inquiétude : "La situation devient très difficile. Si la guerre est déclarée, je crains que les Juifs ne soient victimes de représailles et que certains soient contraints de partir", confie-t-il. Un désarroi que partage Amir Menashe : "Le gouvernement iranien est imprévisible. Les Juifs d’Iran pourraient faire office de boucs émissaires."
Difficile également de prévoir à quel pays la communauté juive iranienne apporterait son soutien, car "si en tant que Juifs, ils se sentent proches d’Israël, ils sont aussi iraniens", explique Kamal Penhasi. Selon lui, rien n’est sûr, cela dépendra de qui engagera les hostilités le premier. "Si Israël prend l’initiative d’attaquer, juifs et musulmans seront unis par un élan patriotique envers l’Iran", estime-t-il. Un point de vue qu’il n’est pas le seul à partager. Cité par le Time, Siamak Merehsedeq, seul député juif au Parlement de Téhéran, affirmait récemment : "Face à quiconque oserait attaquer notre pays, nous tiendrons ferme, comme le reste du peuple iranien."
Discours de façade ou cri du coeur ? La communauté juive étant régulièrement instrumentalisée par Téhéran, certains suggèrent qu’il pourrait ne s’agir que d’un discours visant à complaire au régime des mollahs. Comme l’explique Amir Menashe, l’Iran cultive une certaine schizophrénie. "D’un côté, l’Iran chiite veut s’imposer comme modèle d’islam dans un monde musulman majoritairement sunnite et il adopte pour cela un discours très antisioniste et antisémite afin de plaire aux islamistes radicaux. De l’autre, il ménage la minorité juive, car il a besoin du soutien forcé ou spontané de nombreux Juifs afin de légitimer ses actions sur tous les fronts." Les Notorei Karta, une secte de Juifs ultra-orthodoxes aux positions négationnistes et antisionistes qui appellent à la destruction d’Israël sont ainsi les meilleurs avocats du régime iranien.
Évoquant la Marche mondiale sur Jérusalem du 31 mars 2012, qui rassemblait des activistes de la cause palestinienne, et pour laquelle Siamak Merehsedeq a déclaré son soutien, Amir Menashe dénonce un exemple de manipulation. "Téhéran a forcé les représentants de la communauté juive d’Iran à signer ce communiqué afin de montrer que même les Juifs s’opposent au régime sioniste."