Réponse :
Celle–ci est à la fois simple et complexe.
Pour répondre simplement
il n’y a strictement aucune incompatibilité (surtout si on se base sur les écrits mis en avant par les livres de Marc-Alain Ouaknin, mais qui ne reflètent pas toute la réalité du hassidisme ). Plusieurs rabbins Massorti sont étroitement liés au hassidisme . C’est le cas d’un de mes grands amis, jeune rabbin en Amérique, mais il est loin d’être le seul. C’est le cas surtout du rabbin Abraham Heschel dont le système de pensée est profondément ancré dans le hassidisme . Il était d’ailleurs descendant et héritier d’une des cours importantes du hassidisme et portait le nom de son arrière-grand-père, rabbin hassidique très célèbre. Il faut également citer Elie Wiesel qui possède un diplôme rabbinique Massorti obtenu au JTS mais n’est, ni strictement hassid (au sens sociologique du terme), ni vraiment Massorti (au sens idéologique).
Pour répondre maintenant plus en profondeur
, il faudrait définir une spécificité du mouvement Massorti et enfin une autre du mouvement hassidique. D’un certain point de vue, ils sont profondément opposés, contrairement à ce que je viens d’affirmer.
Historiquement, le mouvement Massorti est né de celui de la Haskala (le mouvement des lumières dans le judaïsme) et donc de la rationalité. Le mouvement Massorti fut celui de l’élite intellectuelle européenne occidentale, puis américaine. Il est surtout universitaire et finalement assez peu piétiste. Le mouvement Massorti met l’accent sur l’autonomie individuelle et le libre choix de la personne. La plupart des grands maîtres du mouvement Massorti était dans la droite ligne du mouvement lituanien, intellectuel et rationaliste, élitiste et avant tout érudit (mitnaged donc, c’est à dire les opposants au hassidisme ).
Le mouvement hassidique, au contraire, est né dans les couches populaires de l’Europe orientale. Il fut une réaction contre la Haskala qu’il a toujours combattu. Il est piétiste et assez peu rationnel. Les rabbins lituaniens l’ont toujours combattu, parfois férocement. Celui qui adhère véritablement au hassidisme , adhère également à un rabbi, à une cour hassidique. Il ne fera rien sans consulter son rabbi. Il délaissera son autonomie personnelle pour faire partie d’un groupe. Le hassidisme est truffé d’histoires miraculeuses et de légendes assez peu vraisemblables.
Autant dire qu’apparemment, tout sépare le mouvement Massorti du mouvement hassidique.
Cependant, le mouvement Massorti aujourd’hui n’est pas le même qu’auparavant. Il n’est plus le bastion et le refuge de la critique rationnelle. Le mouvement de la Haskala est assez différent de ce qu’il a été au 18e et 19e siècle. Il est un acquis indiscutable et fait partie du bagage de la grande masse des Juifs occidentaux. Il est donc logique que dans le mouvement Massorti contemporain, il y ait une quête d’un certain piétisme et de voies spirituelles proches du hassidisme . Il y a un regain d’intérêt pour l’œuvre d’Abraham Heschel et du hassidisme en général. Plusieurs spécialistes de la mystique juive fréquentent le mouvement Massorti , font parfois partie de ses synagogues, où y enseignent volontiers. C’est le cas par exemple du professeur Moshe Idel en Israël, le plus grand spécialiste actuel de la kabbale ; ce fut le cas de Charles Mopsik (zal) en France...
De son côté, le hassidisme a lui aussi changé. La shoah a mis fin au monde hassidique authentique. Ce n’est plus aujourd’hui un mouvement populaire ancré dans un terroir Est européen. Les cours hassidiques qui existent aujourd’hui, sont souvent de tendance sectaire, renfermées sur elles-mêmes pour préserver un mode de pensée et de vie différent du monde moderne (c’est le cas des cercles hassidiques du quartier Mea Shearim très fermé à Jérusalem ou des cercles fermés de Brooklyn... par exemple). Certes elles étudient encore les textes fondateurs du hassidisme , mais ne produisent plus une pensée nouvelle comme ce fut le cas au 19e siècle. La plupart des gens qui s’intéressent à la pensée hassidique, s’intéressent en fait à la pensée d’un monde qui, hélas, a été exterminé. Tous les cercles du hassidisme ne sont pas totalement fermés et il existe quantité de courants plus ou moins mêlés à la vie juive plus large ; les Loubavitch par exemple. Il y a cependant partout une certaine crise de la pensée hassidique qui ne se renouvelle plus et demeure sur des fondamentaux posés au 18e siècle.
Il est fort possible que naisse prochainement un courant de pensée nouveau puisant à la fois aux sources du hassidisme et de la modernité. Il se passe des choses assez intéressantes de ce point de vue en Israël et aux Etats-Unis.
Pour conclure,
vous pouvez être un bon Massorti et un hassid. Par contre, vous ne pouvez pas être un hassid au sens sectaire du terme (c’est à dire en faisant partie d’une cours hassidique déterminée) tout en étant Massorti , il y a trop d’incompatibilités. Me semble-t-il en tout cas.
Mais il ne faut jamais perdre de vue que le judaïsme est un tout et qu’aucune de ses composantes ne vit sur un îlot totalement indépendant et isolé du reste. Les idées s’interpénètrent et le monde juif n’est jamais un système fixe, que ce soit sous l’étiquette du hassidisme ou du mouvement Massorti .
Yeshaya Dalsace
Messages
Je suis un hassid breslov et je n’ai rien de particulier contre les massortis.
Cependant, j’en ai un peu marre de ces "réformés" qui, ayant FINALEMENT compris la profondeur et la beauté de la pensée hassidique après des décennies de calomnies intensives tentent désespérément de s’approprier un soi-disant "hassidisme authentique" qui aurait été "exterminé", corrompu par un soi-disant sectarisme... tout ça parce que vous êtes persuadés que tous ceux qui n’aiment pas la modernité sont forcément des méchants conformistes.
Écoutez monsieur, je suis "hassid" depuis toujours, comme ma femme, et nous sommes parfaitement épanouis autant sur le plan intellectuel qu’individuel et la modernité technologique n’a rien à nous apporter. La mystique joyeuse, la kabbale et toutes les autres spécificités de l’enseignement de notre divin et saint rabbi, le besht, sont toujours l’essence du hassidisme . Rien n’a changé, rien n’a été "exterminé" ne vous en déplaise (bien que le sectarisme existe malheureusement, comme partout).
Concernant le rationalisme, je suis d’accord. Il est évident que vous les juifs modernistes êtes plus "rationalistes" et "scientifiques" que nous.
Mais j’aimerais tout de même rappeler que rationalisme n’est pas synonyme d’intellectualité. Admettre qu’un Tsadik puisse faire de grandes choses et intercéder en notre faveur ne signifie pas que la pensée hassique soit moins profonde et plus superstitieuse, bien au contraire. On peut parfaitement justifier rigoureusement ce genre d’idée sur le plan intellectuel.
En outre, le hassidisme , en tant qu’héritier de la Kabbale, a une profonde tradition intellectuelle et philosophique aussi riche voire plus que le scepticisme philosophant et laïc des réformés et consort...
Avec tout le respect que je vous dois, un ami juif qui en a un peu marre de la façon dont on parle du hassidisme sur les sites des modernistes.
Cher monsieur,
Désolé que mes paroles aient été perçues comme trop critiques envers le hassidisme . Sachez que je ne le méprise en aucun cas et j’ai le plus grand respect pour les différents cercles hassidiques actuels, y compris les plus fermés et suis certain que les gens qui y vivent y trouvent parfaitement leur compte. Je ne fais que répondre à la question posée de la compatibilité entre un judaïsme dit "moderne" et le hassidisme .
Comme je l’ai écrit, une part de la pensée hassidique est en vogue dans les cercles massorti et certains rabbins massorti sont de véritables hassidim, au sens profond du terme (Abraham Heschel reste le plus emblématique, on pourrait aussi nommer Elie Wiesel bien qu’ayant suivi un parcours très différent), mais ce n’est vrai qu’à un niveau individuel, ces individus ne forment pas de véritables groupes homogènes et il n’y a pas le concept central pour le hassidisme classique du Tsadik comme intercesseur. Abraham Heschel , grandit dans le hassidisme et aurait dû être "admour" à son tour puisque petit-fils d’un Tsadik très connu, mais n’en fit rien et ne chercha jamais à créer un cercle de fidèles, au sens hassidique du terme, autour de lui.
Par contre, certains pans de la pensée hassidique me semblent incompatibles avec une certaine rationalité et notamment la question du Tsadik et son rôle "surnaturel". Il en est de même avec l’aspect fermé et sectaire des cercles hassidiques actuels qui ne peuvent que se maintenir dans un certain isolationnisme et sont incompatibles avec l’esprit d’ouverture que nous prônons. Je vois mal en ce sens se créer une véritable hassidout au sens classique du terme, habitée d’un esprit moderniste au sens où nous l’entendons ici. Cela n’enlève nullement les mérites et qualités des cercles hassidiques actuels. Encore une fois, loin de moi de les dénigrer.
Vous semblez ne pas accepter l’idée d’une rupture entre le monde hassidique d’avant la Shoa en Europe de l’Est et le monde hassidique actuel. De mon point de vue, cette rupture est évidente et les conditions sociales et théologiques de la survie du hassidisme sont fort différentes de nos jours que ce qu’elles furent en Europe de l’Est. Cela non plus n’enlève rien au mérite de la dynamique des cercles hassidiques actuels qui parviennent malgré tout à ce maintenir et à être dynamiques.
Le hassidisme représenta une véritable pensée révolutionnaire au sein du judaïsme au 18e siècle et pas un simple piétisme. Cet aspect est inexistant aujourd’hui et le hassidisme s’est réfugié dans les cercles les plus conservateurs et n’innove plus à ce que je sache dans ses publications et idées. Il continue à enseigner des textes et des concepts fort intéressants, mais qui n’ont plus rien de neuf et ne correspondent plus vraiment aux problématiques du judaïsme actuel au sein d’un monde changé en profondeur. Là encore, ce n’est pas un jugement négatif et c’est certainement le gage de sa survie que de ne pas trop se confronter à la modernité.
Je n’ai donc rien, contre le hassidisme actuel. J’en expose brièvement les limites et je pense juste qu’il sera intéressant de voir le résultat d’une véritable confrontation de la pensée hassidique à la modernité, comme c’est déjà le cas dans les cercles du "renewal judaism". Mais peut-on encore appeler cela du hassidisme ?
Vous êtes Hassid de Breslaw, or si certains points de la pensée Breslaw, l’accent mis sur la joie par exemple ou la devekout, ont toute leur pertinence dans un judaïsme de sensibilité massorti , par contre, les attaques très dures de rabbi Nahman contre la philosophie ne sont pas acceptables pour un esprit "maskil" (il compare la philosophie à Amalek dans le likouté moarane par exemple)… Je crois donc qu’il nous faut assumer ces incompatibilités entre deux modes de pensée, deux mentalités, ce qui n’empêche nullement le respect mutuel et la reconnaissance des mérites et limites de chaque système et même leur rencontre sur bien des points communs.
Un grand merci pour vos remarques à leur place et utiles.
Bebraka
Yeshaya Dalsace
C’est moi qui m’excuse, me relisant je me trouve assez agressif. J’avais cru lire dans l’article des sous-entendus qui n’étaient peut-être pas là.
Il est évident qui si l’on part du principe que Halakha et modernité doivent se rejoindre, ce qui semble être à peu près votre postulat, le Hassidisme majoritaire est incompatible avec le judaïsme massorti . Je n’ai pas de problème avec cela, moi-même je ne suis pas franchement favorable à la "modernité", mais j’ai des avis qui sont classiques sur le sujet, inutiles de les exposer.
Après, je ne pense pas que rejeter la modernité signifie que nos idées ne "correspondent plus vraiment aux problématiques du judaïsme actuel au sein d’un monde changé en profondeur".
Au contraire, ignorer les "changements du monde", ou ce qui est perçu comme tel, est une attitude qui pour nous répond aux problématiques actuelles ; que plusieurs juifs laïcs deviennent hassidims montrent d’ailleurs que, au moins pour certains, c’est une solution qui est viable.
Ce qui m’a gêné surtout dans l’article, c’est l’affirmation que la pensée du Hassidisme ne se renouvelle plus depuis le XIX et que le Hassidisme auquel les gens s’intéressent a disparu. Cela est faux je pense, on pourrait citer de nombreux exemples comme Habad , Ashlag ou Na Nach, pour rester dans le connu, qui ont réellement apporté de nouvelles approches dans la période récente.
Et concernant la "rupture entre le monde hassidique d’avant la Shoa en Europe de l’Est et le monde hassidique actuel" j’imagine qu’elle existe mais sur des points qui pour nous sont secondaires, genre l’aspect social des cours et etc.
Je ne pense pas que le questionneur anonyme avait en tête ce genre de choses quand il disait qu’il était passionné par le Hassidisme ... donc de là à dire que "ce monde a été exterminé" !
Enfin bref, merci de la réponse et de m’avoir prévenu par email. Et merci pour le site aussi, je ne connaissais pas beaucoup les massortis, la lecture des articles est agréable.