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Le clonage en question

Le clonage en question

Rivon Krygier -

Rava a créé un homme et l’a envoyé chez Rabbi Zéra. Celui-ci lui a parlé mais il ne lui a pas répondu. R. Zera lui dit alors : tu n’es qu’une créature de sorcellerie, retourne à ta poussière.

Rabbi Hanina et Rabbi Ochaya s’adonnaient chaque veille de Chabbat à l’étude du sefer Yetsira, et créaient ainsi un veau de trois ans (ou tiers) puis s’en nourrissaient (Talmud   de Babylone, Sanhédrin 65b).

André Neher a écrit que l’un des mythes contemporains les plus pertinents était celui du Golem. Il entendait par là évoquer la leçon de la légende du Golem, rattachée au Maharal de Prague, selon laquelle il aurait conçu par des moyens magiques d’ordre cabalistique un androïde qui échappa à son contrôle jusqu’à ce qu’il y mit bonne fin. De nos jours, la communauté scientifique a atteint un haut degré d’assurance, de par la maîtrise des nouvelles technologies, et elle risque d’être grisée par ce formidable pouvoir sans toujours se rendre compte qu’il risque de lui échapper des mains. Neher disait cela à propos des atrocités de son temps. Mais la problématique du Golem pose désormais une nouvelle question fondamentale. Quelle va être l’attitude des légistes devant le formidable pouvoir humain de donner la vie, de la manipuler, de la métamorphoser. Peut-on disposer de ce pouvoir à sa guise ?

C’est là une question fondamentale de l’éthique qui resurgit plus que jamais dans cette fin de siècle : jamais l’homme n’est allé aussi loin dans la fabrication de la vie artificielle et dans la manipulation de la vie biologique. La révolution cybernétique conduit à la construction de robots de plus en plus perfectionnés, elle invente aussi de nouveaux mondes virtuels : non seulement reproduit sons et images et même reliefs, elle permet d’en former de nouveaux. La révolution médicale et maintenant génétique ouvre, elle aussi, une ère nouvelle : la possibilité de reproduire du vivant à notre guise (clonage), de modifier les codes génétiques (eugénisme et manipulations transgéniques). On parle d’ores et déjà de la possibilité de déterminer à l’avance le sexe de l’enfant. N’en arrivera-t-on pas un jour à fabriquer des monstres (Frankenstein), une classe supérieure, des organes de rechange par clonage, des enfants sur mesure, etc. ? Aujourd’hui, le chercheur est-il en droit d’utiliser des cellules humaines embryonnaires, en faisant courir des risques majeurs au développement du fœtus ? À travers le problème de l’instrumentalisation, voire de la commercialisation de l’humain, se pose la question de la dignité et de la sacralité de la vie humaine. Mais par ailleurs, les progrès de la médecine permettent d’envisager des thérapies jusqu’à ce jour impossibles. Comment décider ce qui est juste ?

Il nous faut distinguer entre deux types de clonage qui ne posent pas les mêmes types de problèmes éthiques : le clonage thérapeutique et le clonage reproductif.

I) Du clonage thérapeutique

Par clonage thérapeutique, on entend le transfert d’un noyau de cellule adulte, dans un ovule énucléé, dans le but de cultiver in vitro des cellules souches embryonnaires, puis des lignées de cellules ou des tissus susceptibles d’être utilisés dans un but thérapeutique, notamment pour des greffes. En revanche, le clonage reproductif vise, comme son nom l’indique, à proposer une technique de procréation, visant à reproduire un être humain ayant le même patrimoine génétique que le donneur, à la manière de la brebis Dolly (en 1996). Le clonage thérapeutique est distinct du second en ce que l’on ne cherche pas à implanter un ovocyte fécondé dans un utérus, en vue d’une grossesse. Il s’agit seulement d’opérer un transfert de noyau somatique, dans le but de développer des tissus, voire des organes ayant une fonction métabolique intéressante sur le plan thérapeutique plutôt que de produire des individus clonés.
Il y a deux techniques :
1. On fait se développer un embryon produit par fécondation in vitro pendant quelques jours jusqu’à ce que soient produites les cellules souches susceptibles d’être mises en culture. À cet endroit se pose la question éthique de l’instrumentalisation d’un embryon, potentiellement personne humaine, au détriment du développement de sa vie, dans un but de recherche ou de traitement pour sauver d’autres vies.

2. On utilise des cellules souches embryonnaires déjà présentes dans les tissus adultes. On en trouve dans la moelle osseuse, le cerveau et les tissus fœtaux (et peut-être : cellules de peau et adipeuses [graisse]). L’intérêt médical est que si l’on veut greffer ensuite des tissus issus de la culture de telles cellules d’un individu sur le même individu, on ne risque pas le rejet immunitaire. Mais de telles cellules sont rares, difficiles à isoler et à cultiver. Certains font valoir que cette technique soulève un risque indirect de favoriser le clonage reproductif. En effet, la mise au point et la maîtrise de la technique de transfert de noyau peut constituer la première étape nécessaire à franchir pour le clonage reproductif. Mais Henri Atlan estime que cette objection n’est pas sérieuse car le véritable obstacle moral est lié au risque d’une grossesse pouvant entraîner de graves anomalies de développement, problème inhérent à la seconde étape. La première étape n’autorise nullement de passer à la seconde sans précautions, et l’on se doit de développer des instruments de contrôle.

S’agissant de la première objection, Henri Atlan considère que l’on a tort de parler d’embryon quand il s’agit seulement de cellules-souches, même si elles peuvent avoir des propriétés totipotentes pouvant également donner lieu au développement d’un organisme adulte. Une telle cellule est au demeurant un pur artefact, ni fécondé, ni destiné à être implanté dans un utérus ! Il ne s’agit pas d’un embryon mais d’une potentialité d’embryon, soit une potentialité de potentialité d’être humain.

Quand il s’agirait d’utiliser des embryons surnuméraires, donc fécondés, ils ne seraient pas mis en situation d’implantation dans un utérus mais uniquement en souches de laboratoire. La question alors est de savoir quel statut donner à ces embryons, personne humaine potentielle, alors qu’ils ne sont pas destinés à être implantés, mais au contraire, à être détruits. Globalement, pour le droit juif, il n’y a pas lieu de reconnaître des attributs de personne (potentiellement, virtuellement) humaine à de tels embryons, au point d’interdire formellement et catégoriquement leur utilisation à des fins médicales. À noter que la question soulevée n’est pas propre au clonage puisque la question du statut des embryons surnuméraires est déjà la conséquence des techniques de fécondation médicalement assistée ! Curieuse aussi la haute préoccupation autour du statut de personne des embryons dès ses premiers jours de vie, au regard de la haute permissivité dans la plupart des législations européennes sur les questions d’avortement à un stade déjà très avancé du développement embryonnaire .

Le statut de l’embryon :
On trouve dans le Talmud   l’idée qu’avant 40 jours, l’embryon est « maya be-âlma : un simple liquide » (Yevamot 69b). Mais ce fait (discuté à propos d’une question de pureté et d’impureté et non d’avortement) n’implique pas qu’il puisse être détruit, ni qu’il ne doive pas déjà être considéré comme vie potentielle. La Halakha   semble lui connaître un statut intermédiaire : D’un côté, on a pour devoir de transgresser le Chabbat pour le sauver. Ce qui laisse entendre qu’on lui reconnaît le statut de « vivant » (après 40 jours de la fécondation). Mais de l’autre, il n’a pas acquis le statut humain à part entière, de sorte qu’interrompre la grossesse ne constitue pas à proprement parler un homicide. L’embryon statutairement fait partie du corps de la femme et doit être respecté à ce titre. Et si la mort de l’embryon peut sauver la mère – car la croissance de l’embryon la menacerait – il faut préférer tuer l’embryon ! C’est donc que la vie de la mère est plus une vie que celle de l’embryon. Il ne s’agit pas de deux âmes égales.

Dans le cas qui nous occupe, on peut dire que l’existence de cellules germinales ne menace pas la vie de quelqu’un et qu’on n’aurait donc aucun droit a priori de les détruire ou de mener sur elles des expériences. Mais sont-elles des êtres vivants ? Peut-on le dire de cellules germinales ou de zygotes surnuméraires qui sont de toute façon voués à la destruction ? Ne faudrait-il pas y voir comme des organes prélevés sur un mort destinés à des fins thérapeutiques ? Dans le doute et par principe de précaution, sur un sujet éthique aussi sensible, il vaut incontestablement mieux orienter la recherche sur la reproduction de cellules souches et non sur les cellules germinales. Mais le droit juif ne semble pas exclure la perspective de recherches menées sur des cellules germinales.

II) Du clonage reproductif

On doit effectivement juger moralement inadmissible que des expériences soient menées sur des embryons implantés dans des utérus, en raison du risque de voir naître des enfants déformés ou servant de pièces de rechange. Mais Henri Atlan écrit :
Je vais sans doute vous surprendre, la totalité à ma connaissance des décisionnaires contemporains qui ont eu à se prononcer là-dessus ont exprimé la position suivante : Si cette technique de fabrication d’enfant est appliquée dans le but de pallier certaines stérilités ou [même] d’aider à soigner d’autres personnes, et s’il y a certitude qu’il n’y a pas de danger biologique pour l’enfant qui naîtrait de cette façon-là, alors, il n’y a aucune raison de l’interdire (Information juive, n° 211, sept.-oct. 2001, p. 13).

Cette affirmation semble quelque peu hâtive et réductrice. Il y a des réserves plus affirmées au sein du monde rabbinique. Mais ce propos permet de bien cerner le problème éthique que le clonage suscite : le clonage à but thérapeutique, ou pour pallier une stérilité, pose avant tout la question des risques et dangers biologiques pour l’enfant. C’est cette notion de dangerosité qui mérite d’être élargie : danger mental (déséquilibre psychologique), danger social. Il est clair que nous nous devons donc de penser la question de la légitimité du clonage, par delà la question du danger biologique qui peut peser sur la croissance du fœtus, en supposant que la technique soit un jour maîtrisée, c’est-à-dire sans danger majeur pour le développement physiologique de l’enfant.

David Golinkin, rabbin   légiste du mouvement massorti   israélien dans un responsum   sur la question soulève un certain nombre de problèmes religieux susceptibles de se poser en conséquence du clonage :

Si la médecine devenait en mesure de réaliser et réalisait effectivement le clonage humain, se poseraient un certain nombre de questions à la fois halakhiques et éthiques : [Les questions de filiation :] Qui doit être considérée comme la mère de l’enfant ? La femme qui a donné l’ovule énucléé, celle qui a fait don du noyau de la cellule adulte pris pour clonage, ou celle qui aura porté le fœtus, ou toutes les trois ? Qui doit être considéré comme le père ? Celui qui a donné le noyau de la cellule adulte, le père de la mère qui a donné l’ovule ou de la mère porteuse, ou faut-il considérer que le fœtus n’as pas de père ? Ou encore, faut-il considérer le fœtus comme le frère jumeau ou sœur jumelle de la personne qui a fait don du noyau de la cellule adulte ? [Les questions de disposition :] Peut-on cloner une personne sans son consentement, ou une personne décédée telle un enfant ayant péri dans un accident ? Le donneur de noyau doit-il être considéré comme ayant accompli le commandement de procréation ? Si le noyau donné par un homme est placé dans l’ovule énucléé d’une femme mariée avec quelqu’un d’autre, y aurait-il adultère au risque de provoquer un état de fait d’adultère ? Est-il interdit à une femme donneuse d’ovule énuclée d’avoir des relations sexuelles avec celui qui serait né par un noyau porté par elle ? Peut-on donner naissance à un enfant cloné dans le but d’obtenir des prélèvements de sa moelle épinière pour sauver une personne atteinte de leucémie ?

Ces problèmes sont divers et variés. La plupart ne semblent pas poser de problème nouveau, d’une gravité exceptionnelle. Ils ne sont pas inhérents au clonage ! La bioéthique y est déjà confrontée du fait de la fécondation médicalement assistée, et des dons d’ovocytes ou de sperme. On peut donc imaginer les traiter avec les mêmes règles éthiques ou halakhiques en vigueur, ni plus ni moins.

Les bébés-médicaments

Sur la question de l’instrumentalisation, la question est, comme le laisse entendre Atlan, de savoir s’il est tolérable de permettre délibérément une procréation, par clonage ou non, en donnant naissance à un enfant du fait que ses gènes seraient susceptibles de sauver la vie d’un autre enfant.

La France à ce jour interdit que l’on donne naissance à un enfant dans le but de sauver grâce aux cellules souches contenues dans le placenta et prélevées à la naissance. Ce serait faire naître un enfant non vraiment désiré pour lui-même… On refuse dès lors de mettre en œuvre des techniques de sélection d’embryon non porteur du gène de la maladie grave du frère, et permettre ainsi de tenter de sauver le frère par un greffe de moelle osseuse obtenue grâce à la cellule souche.

Pour ma part, il me semble clair de ce qui ressort des présupposés du droit juif que l’on puisse admettre que si la vie (et la santé) biologique de l’enfant né par clonage demeure but en soi, même si elle a de surcroît un effet de guérison indirecte sur une autre personne, il n’y aurait pas atteinte à la dignité de la personne humaine. Le principe de l’instrumentalisation secondaire, si le but premier est noble, est accepté et assumé dans le Talmud   et les lois rabbiniques. Exemple : « Celui qui proclame ‘‘je donne un sélâ pour l’aumône afin que mon fils survive ou afin de mériter de prendre part au monde futur’’ doit néanmoins être considéré comme un juste intègre ! (Pessahim 8b).

C’est fabriquer un enfant dans le seul but qu’il serve à en sauver un autre qui n’est aucunement admissible. Mais si l’enfant fabriqué est aussi désiré et soigné pour lui-même, le fait qu’il puisse en sauver un autre, en prélevant des éléments de son corps, à condition que cela ne porte pas préjudice à sa propre santé, doit être tout à fait admissible et même souhaitable. Il est évident que fabriquer des individus comme « pièces de rechange », sans que leur intérêt de personne ne soit pris en compte, serait un crime abject. Mais cela peut devenir un bienfait, une mitsva, si l’intégrité de la personne est respectée. On est fondé en droit juif à sauver quelqu’un, quitte à se passer de l’autorisation (par consentement implicite) d’une personne ayant les moyens d’assurer le sauvetage, pour autant que l’on est en droit de penser que cela ne lui causera pas de préjudice. La seule limite que pose le droit juif est que « ein dohin nèfèch mipné nèfèch : On ne repousse pas une vie pour (sauver) une autre vie » (Ohalot 7:6). Or ici, il ne s’agit pas de repousser une vie mais d’en attirer une, pour en sauver une autre. C’est au contraire une mitsva ! Écoutons ce qu’en dit très justement Henri Atlan :
L’inadéquation du principe kantien est (encore plus) évidente dans les situations où des parents font naître un enfant – soit de façon naturelle, soit de façon contrôlée par fécondation in vitro et diagnostic pré-implantatoire –, dans le but d’utiliser des cellules immunologiquement compatibles, de moelle osseuse ou de cordon ombilical, pour soigner et sauver la vie d’un autre enfant malade. Ces enfants conçus ou sélectionnés dans ce but, sont parfois appelés « bébés-médicaments », pour bien souligner en quoi ils ne seraient utilisés que comme moyens pour soigner leur frère ou leur sœur. En fait, cette dénomination est abusivement péjorative. Elle provient d’une application automatique et d’une certaine façon inhumaine de ce principe kantien, qui ne prend pas assez en compte la souffrance des parents (et de l’enfant malade) et ne veut pas considérer le caractère unique de la situation. On pourrait tout autant appeler ces enfants à naître des « bébés de l’amour », en ce qu’ils seraient ensuite aimés doublement pour eux-mêmes et pour la vie qu’ils auraient contribué à sauver (Les étincelles du hasard, Tome II, Seuil, 2003, p. 41).

À l’heure actuelle, il semble que la législation française aille vers l’acceptation d’une telle pratique. La Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA) britannique a, en février 2002, autorisé les parents d’un jeune enfant atteint d’une maladie sanguine (thalassémie, anomalie dans la synthèse de l’hémoglobine) à avoir recours à la fécondation in vitro dans le but d’avoir un bébé susceptible de fournir (à partir du sang du cordon ombilical) des cellules susceptibles d’être implantées chez son frère malade. La décision prise l’a été, en tenant compte du fait que « la famille désirait avoir un autre enfant » (cf. Jean-Yves Nau, Le Monde, 26 février 2002).

La plus haute juridiction britannique a autorisé, jeudi 28 avril 2005, le recours aux "bébés-médicaments" - conçus pour soigner un frère ou une sœur atteint d’une maladie grave -, au terme de plusieurs années de bataille juridique. Les Law Lords ont confirmé à l’unanimité la décision d’une Cour d’appel, d’avril 2003, autorisant le recours à cette technique. Cette décision met fin à la bataille juridique menée par un groupe de réflexion sur les questions bioéthiques, "Comment on Reproductive Ethics" (CORE), pour interdire le recours aux"bébés-médicaments".

Plus loin dans son responsum  , le rabbin   Golinkin évoque le risque de produire des personnalités monstrueuses... Mais il montre lui-même que c’est un faux problème. Il s’agit plutôt d’un fantasme de science-fiction qui est celui qui est le plus facilement associé à l’horreur que soulève le clonage. On oublie que le clonage ne porte que sur le patrimoine génétique et non sur la personnalité des individus qui n’est pas clonable ! Elle est le produit à la fois de l’environnement (y compris métabolique), l’acquis, du caractère (dont l’origine est incertaine, peut-être la diversité de l’expression des gènes et les interactions comme facteur parmi d’autres de spécification) et pas seulement de l’inné, le patrimoine génétique. La preuve : les vrais jumeaux sont des clones, des individus au patrimoine génétique identique et à la personnalité différente ! Et ce n’est pas considéré comme un crime « contre l’humanité de l’homme » que de mettre au monde des jumeaux ! Autrement dit, si on fabriquait par exemple des enfants en série au patrimoine génétique de Hitler, ils ne deviendraient pas des Hitler, bien qu’ils en seraient en apparence les sosies ! Ce qui au demeurant n’aurait rien de plaisant, ni pour l’entourage, ni pour de tels clones…

On conviendra qu’il y aurait une forme de déshumanisation, si l’on s’amusait à produire des individus génétiquement identiques en série. Cela induirait l’idée de la promotion d’un modèle génétique au détriment des autres, ce qui revient à une forme d’eugénisme. Mais doit-on condamner le clonage en tant que tel en raison d’un abus possible mais hautement improbable ? N’est-ce pas déjà le danger existant avec les techniques de reproduction médicalement assistée, par le fait que l’on peut sélectionner les spermatozoïdes ou les ovocytes ? On ces techniques ne sont pas décriées en tant que telles.

Certains lient ce problème à un autre : l’atteinte à la biodiversité. C’est ce que Golinkin dénonce comme un danger menaçant l’humanité. Mais cet argument semble totalement extravagant quand on sait qu’un tel problème ne serait réel que si l’on se mettait à cloner des dizaines de milliers d’individus identiques, tout en empêchant des dizaines de milliers d’autres de se reproduire ! On n’en est pas là.

S’il y a problème de biodiversité, ce n’est pas le danger de supplantation d’un patrimoine génétique mais l’atteinte à la représentation (esthétique/éthique) de l’humanité de l’homme dont la singularité et la diversité sont des traits de sa dignité :

Si chaque homme est [créé] unique, c’est pour proclamer la grandeur du Saint qui est source de bénédiction. Car lorsque l’homme frappe la monnaie à partir d’un même sceau, toutes les pièces se ressemblent. Tandis que le Roi des rois, le Saint béni soit-Il a frappé tous les hommes du sceau d’Adam le premier homme mais il n’en est pas un qui soit similaire à l’autre. Aussi chacun doit-il dire : c’est (aussi) pour moi que le monde a été créé » (Michna  , Sanhédrin 4:5).

Il n’y pas non plus de problème majeur à considérer le clonage comme une immixtion dans le domaine divin, du fait de la manipulation génétique. Dans un sens, toute intervention médicale est une immixtion, en ce que bien souvent, elle modifie le métabolisme, quand on sait l’action de certains médicaments. Il faut savoir qu’en général le judaïsme n’idolâtre pas la nature. Il ne considère pas la nature comme parfaite et tabou. Certes le monde est créé par Dieu et à ce titre il mérite le respect. Mais ce qui est créé n’est pas complètement achevé. Il incombe à l’homme de le parachever ! En conséquence, tout ce qui peut modifier la nature n’est pas à considérer ipso facto comme une atteinte à l’hégémonie divine. La nature n’étant pas sacralisée, une intervention sur la nature peut être approuvée quand elle vise une amélioration des conditions de vie ou le soulagement d’une souffrance. Mais pas de modifier au point d’altérer. La frontière à ne pas franchir se situe entre améliorer la nature ou dénaturer. Cette frontière n’est pas philosophiquement parlant facile à établir. Mais la loi juive nous donne certaines indications. Le meilleur exemple de situation-limite est la circoncision : elle est la preuve que le corps n’est pas considéré comme parfait tel qu’il a été créé. En demandant à Abraham de pratiquer la circoncision, Dieu engage à dépasser l’ordre de la nature. La circoncision est considérée comme un gain sur le plan spirituel, alors que si on la considérait comme une mutilation elle serait interdite. En effet, il est interdit de se mortifier, de se lacérer, car il s’agit d’atteintes dans le sens d’une dégradation, dans un but morbide. En somme, si on agit sur le corps pour améliorer la santé ou la spiritualité, cela est approuvé. Le reste, non. Les rabbins   sont très sévères sur les tatouages encore que les tatouages artistiques d’aujourd’hui ne sont pas ceux de l’époque biblique. Globalement, tout ce qui vise à rendre le corps objet, de contemplation ou de contrition, est problématique. Et la limite du bon goût est parfois difficile à tracer…

La chose importante à saisir est qu’en touchant à l’intégrité de l’homme, corps et esprit, on porte atteinte au sacré, car selon la Bible « l’homme a été créé à l’image de D. » (Genèse 1:27). En conséquence, tout ce qui est susceptible de faire perdre à l’homme son image (visage ou partie du corps), sa dignité d’homme ou de femme, en le déformant ou en le mutilant est une forme de profanation, d’atteinte à l’harmonie de la Création voulue par Dieu. Il faut protéger l’image humaine comme un trésor, « patrimoine de l’humanité » ! On ne peut faire n’importe quoi comme greffer des doigts surnuméraires, forger des formes hypertrophiées, déformées, etc. Le corps humain n’est ni un laboratoire, ni un atelier d’art, mais constitue déjà une œuvre d’art en soi qu’il s’agit de conserver, d’entretenir dans le plus grand respect. Pourrait-on accepter qu’un individu décide de corriger à son goût un tableau de Van Gogh ou de Rubens ? S’agissant du clonage, la question pourrait se poser ainsi : est-ce un crime de reproduire un tableau si l’auteur y consent ? Non. Mais un être humain n’est pas seulement une « œuvre d’art » mais aussi une personne à part entière. Reste donc à penser la question psychologique.

L’aspect psychique

Il y aurait quelque chose de malsain, sur un plan psychique, de voir des individus considérer que leur descendance doit être à leur image, stricto sensu, instaurant le modèle d’un homme auto-suffisant, égocoentrique qui n’a pas besoin de partenaire pour s’auto-reproduire, pas besoin d’altérité génétique pour « se » constituer un enfant. Sur un plan spirituel, il y a là une véritable atteinte à l’idée d’une humanité créée et procréée par la rencontre et l’amour entre deux personnes. La démarche d’un géniteur isolé serait totalement narcissique, si bien qu’on imagine mal qu’elle puisse ne pas entraîner ipso facto ou en tout cas un très grand risque de problèmes psychologiques chez l’enfant pour le travail de dissociation, de formation de sa personnalité :
Monette Vacquin : Si une femme qui a une tuberculose tubaire peut avoir un enfant grâce à la fécondation in vitro, je m’en réjouis pour elle. Seulement, il ne se passe pas que cela. Il y a un “autre espace” à déchiffrer : aucune urgence humaine ne justifie ni ne rend compréhensible cette OPA, qui en quelques années désexualise l’origine, brouille les repères de filiation, aboutit au clonage, ce fantasme d’être débarrassé de l’ancrage dans le sexuel et l’altérité. Le désir d’enfant n’est pas le fin mot de l’histoire des Procréations médicalement assistées (PMA), plutôt son alibi ou sa rationalisation. Depuis vingt ans que je travaille sur ces questions, je m’efforce de me tenir du côté de l’interprétation. Ma question obsédante, c’est : “qu’est-ce qui est en train de se passer ?”. Le premier acte éthique à mes yeux, c’est de nommer ce qui se passe. C’est là que la psychanalyse peut apporter une contribution précieuse. Cela dit, condamnation du clonage, oui. Formellement. Sans aucun état d’âme. Mais au nom de quelque chose qui n’est pas tourné de mon point de vue dans la direction d’une argumentation vers l’aval, comme c’est l’objet de votre livre (même si je trouve qu’il faut se confronter à cette question), mais d’une interrogation inlassable de l’amont : d’où peut venir, du point de vue de l’inconscient, une telle tentative de fabriquer l’humain comme un objet scientifique, maîtrisé, de l’arracher à son origine dans la différence des sexes et son attraction conflictuelle ? Vous dites par exemple que tout a commencé avec le planning familial. Je ne le dirais pas de la même façon que vous, ni au même moment, ni au fil de la même argumentation. Tout n’a pas commencé là, mais c’est très important, et pas seulement sous l’angle de la maîtrise de la contraception, mais aussi sous celui de la modification des rapports de sexe. Je suis par exemple passionnée par une phrase de Jean Baudrillard qui écrit3 : « Du temps de la libération sexuelle, le mot d’ordre fut celui du maximum de sexualité, avec le minimum de reproduction. Aujourd’hui, le rêve d’une société clonique serait plutôt l’inverse, le maximum de reproduction avec le moins de sexe possible ». Et aucun de nous ne sait si nous sommes au seuil d’une mutation dans l’humanité, ou de sa tentation.

Le clonage apparaît comme l’aboutissement de l’idéologie individualiste, pour laquelle, l’homme est pensé hors du réseau familial, et dont les buts d’existence se limitent à l’individu. Il y aurait là une atteinte à la parentalité et à la filiation, du fait de cette « parthénogenèse ». Le problème donc est celui de la déshumanisation en tant que déstructuration de la place de l’individu dans la relation aux autres, du fait de cette mono-parentalité narcissique.

Même dans un cadre familial, on peut imaginer le désastre psychologique qu’induirait le clonage d’un enfant ou parent mort par accident pour « compenser » son décès. Une trop grande ressemblance provoquerait inévitablement des attentes et des projections en l’enfant qui n’aurait pour seul repère que le parent source de clonage ou du frère dont il est sensé assurer la relève. Cette réduction du référent peut être vue comme un handicap ou, en tout cas, on a toutes les raisons de le craindre.
La question est de savoir si de telles dérives doivent conduire à une condamnation sans appel et sans conditions du clonage reproductif. C’est loin d’être sûr, d’autant si certaines mesures de contrôle étaient mises en place pour interdire le clonage dans certaines conditions, notamment quand il est avéré que la dignité et l’équilibre psychique de l’enfant à naître risquent d’être sérieusement remis en cause. Le motif thérapeutique pourrait un jour être invoqué pour opérer une naissance d’enfant par clonage. Mais la question est peut-être déjà dépassée. Demain, dans différents pays, le clonage humain sera une réalité et la question sera comment on gère la réalité, comme c’est le cas dans bon nombre de situations crées par la révolution technologique en matière de procréation pour le meilleur et pour le pire…

01/05/2006

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