Pâques est pour nous la commémoration de la Sortie d’Egypte, mais les rites religieux ne survivent pas uniquement en tant que rappels historiques, ceux qui perdurent le font parce qu’ils incarnent des vérités éternelles qui frappent l’imagination dans le temps et dans l’espace temps.
La force de Pessah est d’être un hymne à la liberté, de décrire la lutte d’un peuple pour échapper à l’esclavage et prendre en main son destin.
Les Juifs emportèrent Pessah avec eux lorsqu’ils émigrèrent en divers endroits du globe, leur histoire étant jalonnée d’épisodes d’oppression, la leçon de Pessah conserva en tous temps, un sens d’actualité.
C’est donc toujours avec émotion qu’on peut lire le commentaire de Don Isaac Abravanel, à qui il incomba de plaider pour la sécurité des Juifs devant le roi Ferdinand et la reine Isabelle lors de l’exil d’Espagne en 1492. Abravanel, commentant un passage de la Haggadah affirmant que sans l’Exode, nous serions toujours esclaves de Pharaon en Egypte, se demanda le cœur serré : « Quel avantage, nous qui vivons toujours en exil, avons-nous retiré de l’Exode ? N’aurait-il pas été préférable d’endurer l’esclavage d’Egypte, plutôt que de souffrir un nouvel exil d’Espagne ? »
Les communautés juives ont vécu et revécu l’Exode, créant de nouvelles interprétations et de nouvelles coutumes selon les circonstances.
Permettez-moi de vous présenter quelques coutumes parmi les plus intéressantes qu’il m’ait été donné de rencontrer au cours de mes voyages en Europe.
Les persécutions
Je commencerai avec Belmonte au Nord du Portugal.
Grâce à son isolement, cette petite communauté de Crypto-Juifs, qui extérieurement avait choisi d’adopter le Christianisme plutôt que l’exil, réussit à préserver son identité Juive pendant 500 ans.
Ils se re-convertirent au Judaïsme, ouvrirent une synagogue et rétablirent une communauté Juive en 1996, où j’ai eu l’occasion de passer un Shabbat il y a quelques années.
Les Juifs cachés connaissaient peu de choses de la pratique Juive, et n’avaient aucun accès à un calendrier Juif. Il commencèrent par commémorer Pessah lors de la nuit de pleine lune qui tombait en Avril, ce qui s’avéra trop dangereux et provoqua la suspicion de l’Inquisition. Il changèrent alors la célébration de la fête pour deux nuits après la pleine lune de Mars.
Le jour de leur Pâques, il se rendaient à la rivière proche de leur ville et coupaient des branches d’arbres. Puis ils traversaient un gué peu profond de cette rivière, à pieds en agitant devant eux les branchages alors qu’ils avançaient. Ce rituel qui ne ressemble en rien à un quelconque rituel juif traditionnel, était une commémoration du passage de la Mer Rouge, une scène qui avait un sens fort pour ces descendants de convertis de force, et leur permettait de mimer leur propre rédemption à venir.
Plus à l’Est, se trouvait le village de Pitigliano, perché dans les montagnes de Toscane en Italie.
Pitigliano offrait une liberté relative à ses Juifs, qui vinrent s’installer au moyen-Age. A certaines périodes, ce fut jusqu’à un quart de la population de ce village qui était Juive.
Pitigliano absorba beaucoup d’immigrés Espagnols et de Crypto-Juifs qui apportèrent avec eux leur peur de vivre ouvertement leur vie Juive.
Une des découvertes les plus remarquables à Pitigliano est un four à Matzot construit sous terre, creusé très profondément dans le rocher, sous la synagogue.
Les grottes ainsi creusées comprennent un mikve souterrain et un abattoir.
Pour Pessah, les Juifs de Pitigliano avaient une Matsa spéciale de forme ronde et bien qu’il n’y ait plus de juifs dans le village, on peut encore aujourd’hui acheter la matza spéciale dans la vieille boulangerie, ainsi que des gâteaux juifs et même du vin casher provenant de viticulteurs voisins.
Ce sont les seuls vestiges d’une communauté jadis florissante.
Les lentilles et le deuil
Plus à l’Est encore, nous entrons dans le monde Ashkénaze et ses nombreuses coutumes, parmi lesquelles la fameuse habitude de ne pas consommer de riz, de céréales, ni de légumineuses à Pessah.
Cette coutume n’a aucune origine dans le Talmud – ce qui n’a rien de surprenant puisque les Ashkénazes ont conservé bon nombre de coutumes sans la moindre origine talmudique, issues souvent de l’ancien Israël, plutôt que de Babylone comme source du Talmud .
Dans les temps les plus anciens, manger des lentilles était un signe de deuil.
On pense donc que cette coutume a pour origine une interdiction générale de consommer des lentilles durant les fêtes, mais curieusement, cet interdit ne survécut que pour Pessah qui compte tant de règles alimentaires spécifiques.
Une autre influence notable sur les pratiques Juives d’Europe Centrale fut bien sûr le climat.
Il est facile d’importer les fêtes Juives d’Israël dans des pays tels que l’Espagne, le Maroc, ou l’Italie, mais il est bien plus dur de les transporter en Europe Centrale.
Ainsi le vin de Kiddoush si sucré est un moyen de compenser l’acidité des vignes qui poussent dans des climats froids.
Le climat
Le climat eut aussi un impact sur la table de Seder.
Un des rituels du soir de Pessah consiste à consommer des herbes amères.
Les manuscrits enluminés de la Haggadah nous montrent de la laitue en Europe Centrale, cependant la laitue (N.D.T. qui pousse difficilement en Russie ou Pologne au mois d’Avril) fut remplacée par du raifort.
Rabbi Tzvi Ashkenazi (17è siècle) commente l’utilisation du raifort en disant : « Les gens vivant en Allemagne, en Pologne…utilisent du raifort, ce qui a eu des inconvénients car beaucoup en consomment moins qu’ils ne le devraient en raison de son goût piquant, et les Juifs les plus pratiquants mettent leur santé en danger. »
Pessah est une fête universelle, qui résiste aux effets du temps et de l’espace, avec de légères variations de coutumes qui sont le signe de la vitalité et de pérennité de la tradition Juive.
Rabbin Chaim Wiener
Pour les amateurs de raifort authentique et difficile à trouver chez le marchant de légume du coin... (en France) : http://mag.plantes-et-jardins.com/conseils-de-jardinage/fiches-conseils/planter-et-cultiver-le-raifort
La coupe de Miriam (Kos Miriam)
Renouvellement féministe du rituel de Pessah
Ces dernières années, des féministes ont commencé à placer durant le Seder deux coupes sur la table de Seder : la traditionnelle, rempli de vin, pour Eliyahou le prophète, et une seconde, remplie avec de l’eau, pour Miriam la prophétesse (elle s’appelle la « prophétesse » dans Exode 15:20).
Miriam est une figure centrale dans l’histoire de Pessah. Elle tient la garde fidèlement quand son frère Moïse bébé est placé dans un panier sur le Nil, elle se charge de trouver une nourrisse pour le bébé. Miriam mène les hébreux en chantant et en dansant (expression de joie religieuse) après la traversée de la mer rouge.
Elle meurt par le baiser de Dieu ; car l’ange de la mort, nous dit-on, n’avait aucun pouvoir sur elle (tout comme son frère Moïse). Après sa mort dans le désert, les Hébreux perdent leur bien le plus précieux : l’eau (associée symboliquement à la Tora) - c’est alors que Moïse s’affligeant de la mort de sa sœur Miriam, frappe le rocher.
Le Midrash nous enseigne que l’eau, qui a disparue à la mort de Miriam, provenait d’un puit miraculeux. Créé au crépuscule à la veille du premier shabbat du monde, le puits a été donné par Dieu à Miriam en raison de sa sainteté, et était prévu pour accompagner les hébreux dans le désert. Miriam et son puit étaient des oasis spirituelles dans le désert.
Nous plaçons la coupe de Miriam sur la table du Seder comme contrepoint à la coupe d’Eliyahou. Eliyahou est un symbole de la venue du Messie à la fin du temps ; Miriam est le symbole de la rédemption dans nos vies actuelles. Eliyahou a vécu dans le désert en solitaire. Miriam a séjourné dans le même désert, mais accompagnée de tout le peuple hébreu. Elle a offert espoir et renouvellement à n’importe quelle étape du voyage. Nous plaçons la coupe de Miriam sur la table du Seder pour nous rappeler également toutes les femmes juives, dont les histoires ont été trop rarement racontées.
A Pessah en particulier, symbole de printemps et de renaissance nous rappelons le rôle primordial des femmes, dont le domaine naturel qu’est celui de la naissance. Au delà des nombreux personnages masculins dans la haggadah : Jacob, Laban, pharaon, Rabbin Tarfon, Rabbin Eliezer, Sisera, Eliyahou, même Dieu en tant que « roi » - la tasse de Miriam vient en rappeler d’autres que l’on oubli trop souvent.
Nous soulevons sa coupe et disons cette prière : « Tu abondes en bénédictions, Dieu, créateur de l’univers, qui nous soutiens par l’eau vivante. Puissions nous, comme les enfants d’Israël quittant l’Egypte, être gardés, consolidés et maintenus vivant dans le désert, et puissions-nous obtenir la sagesse pour comprendre que le voyage lui-même contient la promesse de la rédemption. Amen . »
Les quatre questions écologiques
Pessah et écologie
Voici quatre questions additionnelles au Seder de Pessa’h.
En regard du fait qu’il y a presque quotidiennement des signes que le monde approche rapidement d’une catastrophe sans précédent et qu’il est urgent que les Juifs se mettent en rapport en retour avec d’autres individus qui se sentent concernés, les Jewish Vegetarians of North America – Végétariens juifs d’Amérique du Nord (JVNA) suggèrent les quatre questions additionnelles suivantes :
1. A la vue des « plaies » actuelles, qui menacent les Juifs et toute l’humanité, dont le réchauffement climatique, la sécheresse et la famine croissantes, l’extinction rapide des espèces, la destruction des forêts tropicales humides, des barrières de corail et autres habitats précieux, comment pouvons-nous appliquer des valeurs juives en travaillant avec d’autres à traiter ces menaces de façon efficace ?
2. Si une version contemporaine des quatre enfants évoqués dans la Haggadah de Pâque pouvait être décrite comme
(1) l’enfant qui n’est pas au courant des menaces
(2) l’enfant qui sait mais ne s’en préoccupe pas
(3) l’enfant qui sait et s’en préoccupe, mais n’agit point, et
(4) l’enfant qui sait, s’en préoccupe et agit pour réduire les menaces, ne devrions-nous pas être comme le quatrième enfant ?
3. Puisqu’un rapport de 2006 de la commission agro-alimentaire des Nations-Unies a indiqué que l’agriculture animale émet plus de gaz à effet de serre (18 % en équivalent de CO²) que tous les voitures, avions, bateaux et autres formes de transport confondues (13.5%), et que le nombre d’animaux de ferme augmente très rapidement et devrait doubler en 50 ans, les Juifs ne devraient-ils pas éduquer les gens sur l’urgence d’une transition vers des régimes alimentaires basés sur les végétaux ?
4. Puisque la production et la consommation de viande et autres produits animaux apparaît violer les règles juives fondamentales concernant la préservation de la vie humaine, la compassion envers les animaux, la protection de l’environnement, la conservation des ressources naturelles, l’aide aux personnes affamées et la poursuite de la paix, ne devrions-nous pas éliminer ou réduire drastiquement notre consommation de tels produits ?
JVNA croit aussi que les descriptions explicites récentes des mauvais traitements horribles d’animaux de plusieurs abattoirs devraient entraîner la communauté juive dans son ensemble à examiner les façons dont les animaux sont actuellement élevés, traités, préparés, et abattus, pour voir si les lois et les principes de la Torah sont actuellement appliqués de façon appropriée. Et le groupe espère qu’une étude plus minutieuse des valeurs de la tradition juive – préoccupation pour la douleur d’êtres vivants, préservation de la santé, protection du monde de Dieu, conservation des ressources, alimentation de ceux qui ont faim – mènera au bout du compte les Juifs et d’autres à adopter un régime qui est plus humain, plus sain, plus écologiquement durable, et plus capable de nourrir les personnes affamées – le végétarisme.
Mettre ces questions carrément à l’ordre du jour juif sauverait beaucoup de vies, mènerait notre planète en danger sur un chemin plus durable, et montrerait la pertinence des enseignements éternels du judaïsme dans leur rapport avec des questions critiques actuelles, et ainsi aiderait à revitaliser le judaïsme. Nous croyons qu’il s’agirait d’un Kiddoush Hachem (sanctification du nom de Dieu NDLT) de bien des façons.
Bien sûr, ces questions additionnelles peuvent être évoquées lors de la partie dînatoire du repas, quand il y a plus de temps pour les discussions.
rabbi Richard Schwartz,
Professeur Emérite, College of Staten Island
Auteur de "Judaism and Vegetarianism" (Judaïsme et Végétarisme), "Judaism and Global Survival" (Judaïsme et Survivance Globale) et "Mathematics and Global Survival" (Mathématiques et Survivance Globale) ainsi que de plus de 130 articles sur www.JewishVeg.com/schwartz
Président des Jewish Vegetarians of North America - Végétariens Juifs d’Amérique du Nord (JVNA) www.JewishVeg.com
et de la Society of Ethical and Religious Vegetarians – Société des Végétariens Religieux et Ethiques (SERV)