La raison est très simple : pour fabriquer du foie gras, on gave les oies et les canards en leur introduisant un tube dans la bouche, ce qui non seulement les fait souffrir, mais les blesse également à la gorge.
On les force à ingurgiter une nourriture qu’ils ne veulent pas. On rend ainsi leur foie malade et c’est cette maladie qui en fait toute la saveur culinaire !
Dans cette pratique il y a quelque chose de profondément vicieux et cynique à la fois ! Personne ne devrait donner la main à une telle barbarie.
Du point de vue purement halakhique, cela relève de deux interdits principaux : celui de faire souffrir un animal et celui de consommer d’un animal malade (trefa).
La question de la souffrance est évidente, il suffit de voir les méthodes de gavage pour s’en rendre compte.
La question de la maladie est plus complexe, car on peut discuter des symptômes. Non seulement le foie est malade et une oie dans la nature ne présente pas de tels symptômes mais engraisse, sans développer de pathologie. Mais le gavage provoque en général une déchirure de la paroi interne de la gorge et en tout cas de fortes irritations, ce qui rend l’animal trefa, comme c’est indiqué dans le Talmud H’oulin 42a.
Nombreux furent les rabbins à s’élever contre la consommation de foie gras pur cause de trefa :
Le Kitsour Shoulkhan Aroukh (46.29) du rabbin Shlomo Dantzig (Hongrie 19e siècle) et plusieurs autres autorités rabbiniques mettent en doute la kashrout des oies gavées.
Le Taz (rabbi David Halévy, Pologne 17e siècle) recommande de s’abstenir de consommer des oies gavées (voir signet 18 sur Rama YD 33.9) ; Divrei H’aim 2.39 (rabbi Halberstam 19e siècle en Galicie) recommande également aux « craignant Dieu » de s’en abstenir et signale que dans sa communauté on ne gave pas les oies.
C’est à cause du risque de trefa que d’après Shevet Halevy 9.153, le Hazon Ish s’y opposait en Israël, même si des autorités précédentes l’acceptaient en Europe. Il faut bien comprendre ici la force de l’habitude qui faisait qu’en Europe de l’Est la consommation d’oie était régulière et qu’on ne faisait donc pas trop attention à l’état de leur gorge.
Le Rav Ovadia Yossef (Israël 20-21e siècle) en particulier (YO 9.3).
Le rabbin Shlomo Amar (Israël 20-21e siècle - Shema Shlomo YD 4.1) considère qu’un Beit Din ne doit pas donner son consentement au foie gras (à cause de trefa) car il existe toujours un doute.
Il faut ajouter que la gorge déchirée n’est pas seule en cause et que l’état du foie en fin de gavage est tel que l’oie ne peut plus vivre, elle respire avec difficulté, ne peut plus bouger, ni même se nourrir seule ! Elle est donc au seuil de la mort, donc trefa, du fait de sa maladie.
Mais l’interdit de faire souffrir un animal est moralement beaucoup plus grave et remet en cause tout le processus de gavage. L’animal souffre aussi bien physiquement que psychiquement, il est soumis à une pression constante et sa fin de vie est immonde.
Le rabbin David Rosen (ex Grand rabbin d’Irlande) est particulièrement clair : « Ce devrait être évident pour tout observateur objectif que le pâté de foie gras est complètement Treif ! Je ne vois pas comment un être humain décent peut justifier de manger du foie gras, et je ne vois pas comment tout Juif décent peut le justifier par des raisons halakhiques », ajoute le même rabbin Rosen.
En 2003, la Cour Suprême israélienne (juridiction laïque) a interdit le gavage des oies tel que pratiqué classiquement avec un tube. La Cour a déclaré que la Knesset pourrait permettre la production de foie gras à la condition que le ministère de l’Agriculture soit en mesure d’émettre des règlements qui « garantiraient l’utilisation de moyens aptes à réduire considérablement les souffrances causées aux oies. »
Israël était alors un des principaux producteurs mondiaux de foie gras, la décision de la Cour Suprême d’Israël est donc d’une grande incidence et d’une grande force symbolique et représente même une première juridique mondiale.
Voici un extrait du verdict du juge Rivlin :
« Quant à moi, il n’y a aucun doute dans mon cœur que les créatures sauvages, comme les animaux, ont des émotions. Ils ont été doués d’une âme sensible et ressentent des émotions telles que la joie et la tristesse, le bonheur et le chagrin, l’affection et la peur. Certains d’entre eux nourrissent des sentiments affectifs particuliers envers leur ami-ennemi : l’homme. Personne ne nie que ces créatures sentent également la douleur qui leur est infligée par un préjudice physique ou une intrusion violente dans leur corps. La seule justification du gavage artificiel est la nécessité de conserver une source de subsistance pour les agriculteurs et d’améliorer le plaisir gastronomique des consommateurs ... Mais cela a un prix - et ce prix est de réduire la dignité de l’homme lui-même. »
L’affaire suivit son cours, la Knesset vota en 2005 une loi interdisant le gavage malgré une forte pression du secteur agricole. En 2006 la Cour Suprême exigea de la Knesset une mise en application de la loi non respectée par les éleveurs. Le gavage a quasiment disparu d’Israël pourtant grand producteur de foie gras il y a peu.
Le fait qu’il n’est pas rare de trouver du foie gras lors de réceptions kasher , notamment en France, montre la difficulté pratique à faire respecter toutes les règles de la kashrout face aux enjeux économiques qu’un tel marché représente et la faiblesse de la position rabbinique sur ce sujet.
Mais ce n’est pas parce que les rabbins chargés de la kashrout au Beit Din sont plus scrupuleux sur la question de savoir qui a touché une bouteille de vin ouverte plutôt que sur la question autrement plus essentielle de savoir comment est élevé un animal, qu’ils ont raison !
Il me semble donc évident, qu’il faut éviter de consommer du foie gras quand bien même celui –ci serait servi sous autorité rabbinique et estampillé kasher .
Le fait même que ce met soit délicieux, (je suis le premier à adorer cela), ne rend que plus méritoire le fait de s’en abstenir.
On peut donc à ce propos utiliser la forme classique affirmant que « le rigoriste amènera sur lui-même une bénédiction » « המחמיר תבא עליו ברכה ».
Rabbin Yeshaya Dalsace
Description :
Voici une description du gavage pratiqué traditionnellement en France :
Dans le Midi, on emploie le maïs et les sujets sont gavés à l’entonnoir.
Il s’agit d’un entonnoir spécial appelé « embuc » dont le tube taillé en biseau est garni d’un bourrelet de plomb de façon à ne pas blesser l’animal lorsqu’on lui introduit cet entonnoir dans le bec.
Le maïs est versé dans l’entonnoir et la descente en est facilitée à l’aide d’un petit bâtonnet pour pousser les grains.
D’autre part, on masse doucement de haut en bas le cou de l’oie soumise au gavage pour accélérer la descente des grains.
La quantité de grains à donner à chaque opération varie suivant la capacité d’absorption de chaque animal.
On arrête simplement l’opération lorsque le jabot est complètement plein et l’on fait alors boire, à l’oie ou au canard soumis à ce traitement, un verre ou un ½ verre d’eau tempérée très légèrement salée.
Lorsque les oies soumises au gavage ne peuvent plus se remuer, on les tue alors pour vendre les foies séparément.
On arrive assez facilement ainsi à obtenir des foies de 700 à 800 grammes.
Démonstration :
L’histoire plus complète :
Messages
Excellent article, témoignant d’une réelle empathie à l’égard des animaux, porteur de sens pour la dignité humaine. Bien agrémenté de référence de choix.
Ceci dit... J’aimerai ajouter sans vouloir faire l’avocat du diable des arguments à la partie adverse, (sans doute plus philosophique, mais je l’espère pas insensé), nécéssaire pour un jugement equitable.
S’il s’agit de considérer que le Foie Gras n’est pas Casher à cause des souffrances ou à cause des maladies.
Ne faut il pas caracteriser le sens des souffrances et leurs finalités.
Un animal dans sa demarche de vie pour terminer dans nos assiettes, d’une facon ou d’une autre vont trouver la mort, et ceci avec plus ou moins de souffrance.
Mais la notion de souffrance n’est elle pas relative ?
Dans nos vies, ne faisons pas des efforts, pour ne pas dire ne consentons nous pas à des souffrances, ou ne souffrons nous pas par des épreuves, qui si nous savons trouver le bon chemin spirituel, nous amènera à une élévation humaine, laquelle représente assurément un accomplissement aux yeux du Créateur.
En l’espèce, pour une Oie, par sa certaine souffrance, ne conduit elle pas à au dela d’une appréciation d’un simple désir glouton, à une magnificence, une exaltation, un rayonnement, une glorification, du gout, de la finesse, et quelque part une forme de beauté... qui est à mon sens peut mener à une sanctification du Nom...
Je conviens que ce raisonnement peut paraître un peu farfelu, mais il a le mérite de tenir un peu la route, de témoigner d’un peu de recul.
S’il convient de se soucier de souffrance, ça serait d’abord celle des êtres humains.. laquelle pullule à différents degrés et sous toute les formes autour de nous.
S’il convient de condamner les souffrances des animaux, j’accepte totalement l’idée qu’il convient d’éviter toutes les souffrances inutiles, dénués de sens.
Or le foie gras n’est il pas porteur de sens en accompagnant agréablement nos fêtes, et nos joies ?
Erev tov,
Au risque de répéter ce qu’a écrit Rav Dalsace, une des 613 mitsvot de la Torah est de ne pas commettre de tsaar baale ’hayim : souffrance aux animaux. Vous avez raison de dire que la souffrance est relative, mais justement, les méthodes de gavage pour produire le foie gras n’ont rien à voir avec les méthodes traditionnelles pour nourrir les poules ou les vaches, même celles qui sont confinées dans des espaces minuscules comme, pour le cas des poules, une feuille de papier A4, ce qui les blesse et fait qu’elles mangent leurs excréments.
[J’attends néanmoins avec impatience, malgré cet argument, une takana similaire interdisant les oeufs de poules élevées en batterie car il me semble évident que cela est tsaar baale ’hayim]. De plus, pour produire le foie gras, on crée une maladie (crise de foie) : cela est également interdit. Enfin, certains décisionnaires estiment que le jabot de l’animal est endommagé, ce qui le rend taref.
Le judaïsme n’est pas d’accord avec vous : il nous demande précisément de se soucier du bien-être des animaux, sans que cela ne soit contradictoire avec le fait de se soucier du bien-être des hommes et d’aimer D.ieu (et je dirais même : au contraire), par exemple :
– lorsqu’on a un animal domestique, il faut d’abord le nourrir lui avant de se nourrir soi-même.
– on n’a pas le droit de tuer un même jour un petit et sa mère.
– on ne doit pas, lorsqu’on voit un nid avec une mère et ses petits, prendre la mère et les petits.
– on n’a pas le droit de faire labourer un âne et un boeuf ensemble, une des raisons étant que le boeuf irait plus vite que l’âne, ce qui constituerait une gêne pour les deux animaux.
Dans Messilat yecharim, le Ram’hal écrit (chapitre XIX) : "Et au fond ce sujet est de ne pas faire de mal [letsaér, même racine que tsaar] à aucune créature, y compris des animaux, et avoir pitié et être miséricordieux avec eux, et ainsi il dit [Proverbes XII, 10] : Le juste connaît l’âme de son animal".