Je me souviens de longues marches, le livre de prières sous le bras, pour atteindre le point d’eau où la cérémonie pourrait se faire. Jusqu’à la Seine à Paris, jusqu’à la source du petit village de Lifta en ruine à l’entrée de Jérusalem, jusqu’à la mer à Nice. Les juifs du monde entier unissent tous les océans et les fleuves du globe terrestre ce jour-là.
L’essentiel de ce rituel consiste à aller au bord de l’eau, à sentir la présence de l’eau, à s’imprégner de cette présence. Le peuple du livre a bien entendu lié du texte à cette pratique, mais le texte est une illustration, l’essentiel demeure le lien spirituel à l’eau qui est essentiel pour la tradition juive.
L’eau représente la vie, vie biologique bien entendu mais également spirituelle, la Tora est comparée à l’eau et l’eau est la source de toute chose. L’eau des quatre fleuves arrosait abondamment le jardin d’Éden. L’eau est également celle du liquide amniotique, d’où un jour nous fûmes expulsés comme le furent avant nous Adam et Ève du jardin d’Éden.
Durant la cérémonie de Tashlikh nous nous inclinons sur les eaux dans lesquelles nous jetterons symboliquement nos fautes. On peut donc y voir une déconstruction du mythe de Narcisse. Celui-ci, amoureux de sa propre image, tombe dans l’eau et meurt après avoir prétendu s’être approprié son propre reflet.
Durant ces jours intenses de Yamim Noraim, où nous sommes confrontés à notre propre image, à la lumière du jugement divin. Loin de pouvoir nous satisfaire de notre image, nous devons la briser, tout comme notre ego, ce qui est le sens même des fêtes de Tishri .
L’eau purifie et il est clair que le rituel de Tashlikh forme une sorte de Mikve symbolique, psychologique et collectif.
Historique
Ce rituel n’est mentionné ni dans la Bible, ni dans le Talmud .
Certains ont voulu lui trouver des racines très anciennes en s’appuyant entre autres sur le texte du livre de Néhémie (8.1-3) décrivant une cérémonie de Rosh Hashana à Jérusalem à la porte des eaux :
« Alors tout le peuple s’assembla comme un seul homme sur la place qui est devant la porte des eaux. Ils dirent à Esdras, le scribe, d’apporter le livre de la loi de Moïse, prescrite par l’Éternel à Israël. Et le sacrificateur Esdras apporta la loi devant l’assemblée, composée d’hommes et de femmes et de tous ceux qui étaient capables de l’entendre. C’était le premier jour du septième mois. Esdras lut dans le livre depuis le matin jusqu’au milieu du jour, sur la place qui est devant la porte des eaux, en présence des hommes et des femmes et de ceux qui étaient capables de l’entendre. Tout le peuple fut attentif à la lecture du livre de la loi. »
Certains auteurs signalent de vieilles coutumes juives consistant à prier au bord de l’eau.
Il apparaît pour la première fois sous la plume de Rabbi Yaakov Molin (connu comme le Maharil, 1360 - 1427), qui lui trouve une allusion biblique dans les mots du prophète Mikha (7:19) : " Et tu jetteras tous tes péchés dans les profondeurs de la mer ".
Le premier jour de Rosh Hachana en début de soirée, après le service religieux de min’ha (sauf quand le premier jour de l’année coïncide avec shabbat car dans ce cas l’on repousse la récitation du Tashlikh au jour suivant), nous les Juifs nous nous réunissons au bord d’une rivière, un ruisseau, un lac, la mer ou tout autre extension d’eau courante. La vue des poissons est censée nous évoquer un verset de Kohelet (Ecclésiaste 9.12) :
"L’homme ne connaît pas non plus son heure, pareil aux poissons qui sont pris au filet fatal, et aux oiseaux qui sont pris au piège ; comme eux, les fils de l’homme sont enlacés au temps du malheur, lorsqu’il tombe sur eux tout à coup."
Pour des raisons de Halakha , le Maharil s’oppose à la coutume populaire de vider nos poches remplies de mies de pain et de les jeter dans l’eau aux poissons comme si elles incarnaient nos propres fautes, car il est interdit de nourrir un animal qui n’est pas le nôtre ce jour là (Yom Tov).
Ceux qui habitaient trop loin d’un cours d’eau avaient coutume de monter sur les toits les plus gros de la ville et de faire la cérémonie tournés dans la direction de la mer ou d’un lac.
Au Kurdistan, les juifs avaient coutume d’entrer tous dans l’eau pour réciter la formule, afin d’être nettoyés de leur péchés par les vagues.
En Galicie orientale, après avoir récité la formule, on posait des bougies allumées sur des planches ou des petits radeaux de paille afin de les laisser emporter par le courant du fleuve. Si la bougie s’éloignait en restant allumée, c’était considéré comme un bon signe pour l’année à venir.
Le Maharil rapporte une autre raison au Tashlikh.
Le Midrach Tanhouma (Parachat Vaiera) nous apprend que quand Abraham a été défié par l’ordre divin de sacrifier son fils Isaac, Satan avait alors carte blanche pour faire appel à tout moyen par lequel il pourrait arrêter Abraham dans sa dévotion.
Après des échecs réitérés, Satan prend, finalement, la forme d’une rivière profonde obstacle au chemin d’Abraham et d’Isaac. Cependant, père et fils s’enfoncent dans les eaux et seul Abraham demande de l’aide à Dieu quand, ayant de l’eau jusqu’au cou, il s’aperçoit qu’il ne pourra pas arriver à la destination fixée. Il clame alors le verset des psaumes
(69:2)
"Sauve-moi, ô Dieu ! Car les eaux menacent ma vie".
Dieu intervint et la rivière disparut.
Rappelons que le récit biblique de l’Akeda (ligature d’Isaac) est celui que nous lisons le jour de Rosh Hashana et que le shofar symbolise le bélier sacrifié à la place d’Isaac.
Le Rama (Isserles 16ème siècle) lie la coutume du Tashlikh avec la création du monde qui repose, croyait-on alors, sur les eaux de l’abime (mey tehom), les mêmes eaux invoquées par le verset du prophète Mikha. Rosh Hashana est l’anniversaire du monde, son jugement. Nulle surprise donc que l’on en invoque les fondements.
Si l’on trouve toutes sortes de raisons de raccrocher la coutume du Tashlikh au sens profond de Rosh Hashana, il n’en demeure pas moins que comme beaucoup d’autres coutumes, son origine et sa signification réelles restent mystérieuses.
Rien d’étonnant donc que le même Rama émet quelques réticences par rapport à cette coutume qu’il semble trouver un peu bizarre. À la fin du XVIIIe siècle, le Gaon de Vilna tenant du rationalisme, la réprouvera. Il n’y participera jamais personnellement et l’interdira à ses élèves (voir Sefer Ma’aseh Rav).
C’est ainsi que certains ont voulu abandonner cette pratique.
Nous avons cependant suffisamment invoqué de bonnes raisons de la garder. Le contact avec l’eau, même visuel, doit être pour nous une occasion supplémentaire de réfléchir et de faire Teshouva . De plus, vu la quantité d’aliments que nous ingurgitons à Rosh Hashana, une promenade digestive ne saurait nuire à personne.
Actualiser :
Par nature les coutumes sont faites pour être renouvelées. Tashlikh s’y prête parfaitement.
Voici une suggestion :
Prévoir quatre étapes sur la route qui nous mène au point d’eau.
A la première étape, penser à quelque chose que l’on veut rejeter par rapport à l’année passée. Quelque chose de très concret, que l’on peut même personnaliser dans un objet.
Deuxième étape : penser à quelque chose de positif que l’on a réussi à faire l’an passé et que l’on voudrait garder.
Troisième étape : prendre une résolution par rapport à l’année qui vient. Quelque chose que nous allons essayer d’accomplir.
Quatrième étape : le rituel classique, c’est-à-dire la prière que l’on peut accomplir en mangeant à nouveau des pommes et du miel (c’est toujours à l’heure du goûter après tout).
On peut également prendre une feuille de papier, écrire tout ce que l’on veut changer en soi et dans le monde (il faut seulement faire attention décrire avant la fête), ensuite on plie le papier en forme de bateau, on le pose sur l’eau à fin que le courant et le vent l’emportent.
Yeshaya Dalsace
Messages
toda pour cet article.
je me demande que peut-on jeter ? juste ce qui concerne
בין האדם למקום ? car tout ce qui touche aux relations entre les humains, ça ce n’est pas à la rivière qu’il faut s’adresser mais au prochain, non ?
יעל