Le mythe peut être porteur de vérité et satisfaire au sens à condition qu’on ait fait l’effort de construire une théologie personnelle.
Voici l’exemple de la démarche du rabbin Neil Gillman :
À l’époque où je faisais mes études rabbiniques au Jewish Theological Seminary, on nous enseignait la théologie comme partie intégrante de l’histoire intellectuelle juive, comme ce qu’avaient été les croyances des grands penseurs Juifs d’antan. À l’exception notable de Mordechai Kaplan et d’Abraham Joshua Heschel , nos enseignants ne se préoccupaient pas outre mesure de ce que nos futures ouailles et nous-mêmes pouvions bien penser.
Pour ma part, lorsque j’ai commencé à enseigner, j’ai toujours considéré comme mon devoir d’aider mes étudiants à développer leur propre théologie, en accord toutefois avec le reste de leur éducation au séminaire. Je les formais à enseigner et à prêcher en tant que rabbins Conservative (Massorti ). Ils avaient donc le droit de s’attendre à ce qu’à mon tour, je partage avec eux ma propre théologie.
Ma première rencontre avec l’utilisation théologique du terme « mythe » fut dans sa Théologie systématique de Paul Tillich. J’avais commencé à lire Tillich pour mes examens de doctorat à l’Université de Columbia, mais c’est seulement en enseignant la théologie aux étudiants rabbins du JTS , que j’ai pleinement mesuré l’impact de sa pensée. Cette œuvre, aujourd’hui encore, demeure essentielle dans mon enseignement et mes écrits.
[*Mon problème principal était la Révélation. Elle continue d’être pour moi le problème crucial en théologie. En effet, la façon d’appréhender la Révélation détermine la façon d’accepter l’autorité de la Tora sur les croyances et les pratiques juives.*]
Ma formation au Séminaire m’avait fait cesser toute compréhension littérale de l’évènement central du judaïsme qu’est la Révélation telle qu’elle est décrite dans l’Exode 19-20. On m’enseignait que la Tora était un document composite, écrit aux environs du Vème siècle de notre ère, chargé d’emprunts aux littératures des cultures anciennes voisines du Proche-Orient. L’approche « critique » de l’étude de la Bible remettait également en question la vérité historique des récits bibliques, y compris celui de la Sortie d’Égypte et de la révélation du Sinaï. L’évidence de ces conclusions acheva de me persuader.
J’avais commencé à me poser des questions sur la possibilité même, pour tout être humain, de parvenir à saisir la nature ou l’agir de Dieu au sens littéral du terme.
[*Je ne parvenais plus à croire que Dieu soit littéralement « descendu » sur le Mont Sinaï et qu’il ait « dit » les mots de la Tora.*] Si Dieu était vraiment Dieu, alors Dieu ne pouvait « parler » au sens littéral. Mais dans ce cas, que devenait la Tora, sa sainteté, son autorité ? Plus largement, quel était le statut épistémologique de toute revendication théologique ? Et pour finir, en tant que rabbin , comment pouvais-je justifier d’enseigner et de prêcher l’ensemble des pratiques juives qui, je continuais à le croire, demeuraient essentielles à toute compréhension authentique du Judaïsme ? C’est dans un tel contexte que je revins à la notion de mythe.
De nos jours encore, l’utilisation de ce terme continue à perturber beaucoup de mes étudiants. Le problème est que dans le langage courant, un mythe est l’équivalent d’une fiction, d’un conte de fée, ou pire, d’une fabulation ou mensonge – Il est fréquent d’opposer « le mythe » aux « faits » ou à « la réalité ».
Cet usage habituel du terme me hante à chaque fois que je l’utilise. Lorsque j’enseigne la révélation, je propose à mes étudiants un large éventail d’options, y compris l’interprétation traditionnelle littérale du problème, de même que les positions plus libérales exprimées dans les écrits d’Heschel , Kaplan, Buber et Rosenzweig. J’enseigne aussi ma propre opinion – que le récit biblique des évènements du Sinaï devrait être compris comme un mythe.
Et voici ce que j’entends par ce terme : mythe.
1. [*Il n’y a pas de connaissance humaine du monde qui soit totalement objective. Nous construisons une réalité depuis notre simple perception d’un simple objet jusqu’à nos théories scientifiques les plus complexes.*] Dans cette réalité, nous mettons tout ce qui fait de nous des individus uniques : notre héritage génétique, notre bagage éducatif et culturel et notre propre vision intuitive et quasi pré conceptuelle de ce à quoi ressemble le monde. Nous percevons le monde non à travers nos yeux, mais à travers notre cerveau, qui applique des schémas interprétatifs à ce qui nous est transmis par nos sens. Ces schémas sont semblables à des mythes. Les mythes fondateurs vont souvent de pair avec des récits mythiques : les premiers décrivent la structure, les seconds racontent comment c’est arrivé. La théorie psychanalytique freudienne combine les deux, tout comme l’astronomie : La Genèse 1 et l’Exode 19 sont des mythes narratifs classiques.
2. [*Les mythes, en conséquence, ne doivent pas être opposés aux faits. Au contraire, les mythes sont le moyen par lequel nous identifions les faits significatifs.*] Plus les faits sont difficiles à appréhender, plus il y a d’informations qui échappent à la perception humaine, et plus le mythe devient inévitable et indispensable. Mythe comme dans la théorie du fil, la théorie psychanalytique, le récit biblique de l’Exode, de la Création et de la Rédemption. Dans tous ces cas, le mythe induit un monde invisible pour expliquer ce que nous voyons. Par conséquent, les mythes sont les informateurs des scientifiques et des théologiens.
3. [*Les mythes sont les coutures qui relient, les résultats de l’expérience, permettant ainsi à ces résultats de former un motif cohérent et de prendre sens*] – ce que Rollo May dans son livre The Cry for Myth appelle, « les poutres de la maison », qui sont elles-mêmes invisibles mais sans lesquelles la maison ne tiendrait pas debout.
Pour utiliser une autre métaphore de notre enfance, les mythes sont les lignes qui relient entre eux les petits points numérotés sur une page et qui nous permettent, une fois reliés, de voir le lapin ; sauf que les points dans notre cas, ne sont pas pré-numérotés. C’est à nous de choisir les points que nous voulons relier (c’est-à-dire les faits) puis de leur assigner des numéros et enfin de tirer les lignes. Il y a parfois plusieurs possibilités de connexion, chacune produisant un dessin différent (Copernic contre Ptolémée, Freud contre Jung, perception de la vie Américaine par les Blancs contre perception par les Noirs, ou perception de la politique Moyen Orientale par les Sionistes contre celle des Palestiniens). C’est précisément parce que ces tissus de connexion sont eux-mêmes invisibles que les mythes sont souvent considérés comme des fictions.
4. [*Les mythes peuvent être « vivants », « brisés » ou « morts » (selon Tillich). Un mythe vivant, est un mythe qui continue à bien fonctionner pour nous, que nous considérons comme « vrai », qui donne un sens au monde tel que nous le percevons.*] Un mythe brisé est un mythe qui est décrit comme une construction humaine subjective. [*Il arrive que les mythes brisés meurent, les faits qui leur sont contraires étant devenus trop puissants*] (cf Thomas S. Kuhn : The Structure of Scientific Revolutions qui traite de la vie et de la mort des paradigmes scientifiques. Les paradigmes de Kuhn fonctionnant comme des mythes).
De nombreux adultes font l’expérience de la mort de leurs mythes personnels : pour beaucoup d’Américains par exemple, le Vietnam a tué le mythe Américain. Mais les mythes brisés ne doivent pas forcément mourir. On peut accepter un mythe brisé comme mythe vivant. C’est ce que j’essaye d’aider mes étudiants à faire. Le pas crucial étant selon le très heureux terme de Paul Ricœur la « seconde naïveté » ou « naïveté voulue » (par opposition au stade précritique ou à la « naïveté primaire »). [*En nous replongeant volontairement dans le mythe (comme par exemple au Seder de Pessah) nous lui rendons tous ses pouvoirs, même s’il a été brisé. C’est un pas en arrière qui est très difficile à franchir, mais qui est indispensable.*]
5. Enfin, qu’est-ce qui rend un mythe « vrai » ? Certainement pas le fait de correspondre aux faits, tout simplement parce que nous n’avons aucune perception indépendante de ces faits pour faire une comparaison entre eux et le mythe ! Nous n’échappons pas à notre humanité. Mais un mythe peut faire un très bon travail d’intégration de ce que nous percevons comme un fait de l’expérience. En quoi peut-il être une manière explication ? En décrivant de manière plus pertinente, avec plus d’adéquation, un nombre plus important de nos perceptions. Pour les Juifs, ce mythe est canonisé dans la Tora. Les mythes sont singulièrement tenaces. Ils jouissent aussi d’une certaine « élasticité » ; ils peuvent être refondus pour expliquer des faits apparemment discordants (les Juifs appellent ça le procédé du Midrach )
Pour finir, les mythes religieux sont des vérités existentielles, nous les rendons vrais pour nous, et ils deviennent vrais si nous les croyons et si nous les vivons. Pour moi, le test à l’acide est constitué par la liturgie et le rituel. La liturgie articule le mythe et les rites le rendent particulièrement vivant.
Mon mythe est vrai parce que je peux prier dans la liturgie traditionnelle et parce que le rituel Juif fonctionne parfaitement bien pour moi.
Si vous saviez combien de fois des collègues rabbins m’ont suggéré d’utiliser un autre terme : midrach , construction, métaphore, paradigme, modèle. Mais chacun d’eux apporte de nouveaux problèmes. Le mot « mythe » remplit bien la fonction que je lui reconnaît, tout comme mon propre mythe, et j’ai bien l’intention de continuer à les utiliser tous les deux.
Article du Rabbin Neil Gillman dans la revue S’hma.
Neil Gillman est un rabbin Massorti américain spécialiste de la pensée juive contemporaine et notamment de Franz Rosenzweig. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages.
Traduction Odile Elisson
Lire également l’article de Yeshaya Dalsace : Le rapport du judaïsme aux sciences historiques http://www.massorti.com/Le-rapport-...
Messages
Tout à fait d’accord avec cette conception de Gillman, si ce n’est que désormais, et de plus en plus, le mythe en question disparaît et se noie sous la masse d’interprétations et de perversions superstitieuses qui finissent par créer, dans la réalité, cette notion de péché, inconnue au judaïsme... Et le mythe lui-même, vivant ou brisé, ne sert plus que de levier à tout autre chose.
Cher Monsieur,
Dans son article Neil Gillman explique que sa remise en question de la véracité historique du Texte Biblique provient de ses doutes sur la "révélation" telle qu’elle est narrée dans l’Exode :
"Je ne parvenais plus à croire que Dieu soit littéralement « descendu » sur le Mont Sinaï et qu’il ait « dit » les mots de la Tora. Si Dieu était vraiment Dieu, alors Dieu ne pouvait « parler » au sens littéral. Mais dans ce cas, que devenait la Tora, sa sainteté, son autorité ? "
Ces problèmatiques furent soulevées au 12ème siècle de notre ère par Y. Hallévi dans le Kusari :
"Certes, nous ne devons pas repousser le récit de la scène du Sinaï, transmis par une tradition ininterrompue. Ensuite nous dirons : Nous ne savons pas comment le verbe Divin s’est matérialisé, jusqu’à devenir une parole qui frappe nos oreilles, ni ce que D.ieu a crée à partir du non-être,ni les choses existantes qu’il a utilisé pour cette manifestation du Sinaï.[Mais peu importe] en effet, la puissance ne lui fait pas défaut(...). (1,89).
Y. Hallévy explique donc que le "comment" de la chose ne doit pas être un questionnement touchant à la question de la véracité de la scène en question. [pour la question de la matérialisation du verbe Divin, voir Khuzari 2,4 et Rambam Guide 1,65]
Il explique au contraire que révélation, comme de nombreux miracles mentionnés dans le récit de la Sortie d’Egypte,a constitué le fondement de la "Foi" du Juif :
"(...) Par conséquent, la croyance en la Loi , qui est liée d’une connexion nécessaire avec les miracles, et en la création du monde en 6 jours, opérée aussi par D.ieu, s’ancre dans leur âme, puisqu’ils avaient vu que D.ieu avait créé les Deux Tables, la mane, ect. Ainsi se sont trouvés balayés de l’esprit du croyant les doutes des philosophes (...)".
L’idée, répétée maintes fois dans cet ouvrage, est la suivante :
600000 Hébreux ont assisté à la révélation au Mont Sinaï. Ils ont transmis le souvenir de cette scène à leurs enfants, et ainsi de suite jusqu’à nous. La "Foi" du Juif trouve son enracinement dans ce qu’ont vu ces 600000 personnes au Sinaï. Nier la véracité historique de la révélation, c’est donc déligitimer la croyance en Un D.ieu Unique ayant transmis Sa Torah à Un Peuple.
Bien à vous,
F.G
Cher Monsieur,
Merci d’apporter cette contribution.
Le rabbin Neil Gillman qui est professeur d’université en pensée juive a, bien entendu, lu le Kouzari de Yehouda Halevi, comme tout rabbin qui se respecte d’ailleurs. Le problème est que l’idée du Kouzari affirmant que 600.000 personnes ne sauraient se tromper (ils étaient d’après le texte plus encore en comptant femmes, enfants et vieillards, ce qui est en soit un chiffre absolument irréaliste) et qu’ils représentent un groupe de témoins fiable, ne saurait convaincre un érudit moderne de la trempe d’un Gillman. En effet, avec tout le respect pour ce géant de la pensée juive que fut Halevi, l’argument ne tient pas.
D’une part, on sait qu’il est possible de convaincre une foule de n’importe quelle idée, les meilleures comme les moins bonnes. (Le 20e siècle nous a montré quelques tristes exemples de ce phénomène). Ensuite, il est encore plus facile de faire croire à un peuple des générations plus tard que ses ancêtres ont vécu tel ou tel évènement. Si effectivement 600 000 personnes venaient témoigner directement cela aurait un certain poids, mais qu’un livre raconte qu’il y a plusieurs siècles, 600 000 personnes ont vu un phénomène ne prouve rien du tout.
Ce qui semblait évident à un penseur du 12ème siècle, l’idée du « peuple preuve » a perdu toute pertinence pour un savant du 21ème. Si on suivait l’argument d’Halevi, il faudrait valider comme vérité historique bien des légendes et récits de l’humanité totalement invraisemblables.
Un savant contemporain un peu lucide accepte la part légendaire de certains récits bibliques. Gillman part de ce point. Le sens premier du récit ne saurait être historique. Le prendre comme tel consisterait à tourner le dos à toute la science moderne. C’est un mythe, mais un mythe vivant et constructeur à ses yeux. Cela ne veut pas dire qu’il remet le principe de la révélation en cause, il la lit à un niveau plus intérieur et symbolique que le sens premier du récit de la Tora. En cela il n’est pas le premier ni le dernier. Cela ne veut pas dire non plus qu’il remet en cause la véracité historique de la sortie d’égypte en tant qu’événement fondateur, mais que cet événement, s’il a eu lieu, a dû être de nature toute autre et beaucoup moins spectaculaire que ce que le récit de la Tora en dit.
Trop de juifs, fort de la culture contemporaine, cessent de trouver une véritable pertinence dans les récits de la Tora. Leur apporter des « preuves » de l’ordre de celle d’Halevi ne sert strictement à rien et ne saurait les convaincre. Leur montrer, par contre, que l’on peut être croyant et pratiquant et même rabbin , tout en ayant les mêmes convictions culturelles modernes et connaissances scientifiques, ne peut que les aider à retrouver une pertinence dans nos textes fondamentaux.
Discuter de la véracité de tel ou tel événement raconté par le texte biblique ne relève pas d’un désir de détruire le judaïsme mais au contraire d’accepter sa reconstruction à partir de nos connaissances contemporaines. Dès lors que quelqu’un accepte le bien-fondé de scientifique moderne, il ne peut répondre aux interrogations que cette culture lui pose par des arguments qui ne tiennent pas debout. La seule réponse véritablement honnête intellectuellement relève d’une construction théologique et donc de l’exégèse, ce qui est en droite file de la continuité de la pensée juive.
Gillman part du principe que les connaissances contemporaines et les problèmes qu’elles posent sont acquis par le lecteur. Il cherche à donner une réponse rabbinique à ce lecteur.
La grande difficulté posée par le genre de réponses d’essence « fondamentaliste » qui consiste à vouloir à tout prix, y compris au mépris de toute rationalité et en piétinant l’énorme acquis des connaissances scientifiques contemporaines, prouver par des arguments qui n’en sont pas que le sens premier du texte dit vrai d’un point de vue historique, est qu’elle ne convint que les convaincus. Plus grave encore, vouloir enfermer le texte de la Tora dans une dimension purement historique, sous-entend que toute personne qui, du fait de sa culture moderne, ne pourrait accepter une telle lecture se retrouverait de fait exclue de la possibilité de vivre un judaïsme religieux sincère. Le judaïsme devrait-il devenir à une religion réservée aux seuls fondamentalistes ? Ce serait extrêmement grave et réducteur.
C’est pourquoi des rabbins comme Gillman font un travail important en cherchant à mettre en lumière la pertinence toujours vivante de nos vieux textes. En faisant cela, ils ne font rien de très originale et se placent dans la droite ligne de nombreux grands penseurs du judaïsme comme Saadia Gaon , Maimonide , et bien d’autres jusqu’à Levinas et Heschel .
Bien évidemment, quelqu’un qui n’a pas acquis les fondements de la culture moderne peut être très choqué par ce genre de discussions et ne pas en comprendre la pertinence. On ne peut refaire les « humanités » de nos lecteurs…
Yeshaya Dalsace
Cher Monsieur,
Tout d’abord je voudrais saluer l’attention que vous avez porté à mon message, ainsi que le temps de réflexion et de rédaction que vous avez pris pour me répondre.
Ceci dit,la science et la littéralité de la Torah ne sont en aucun incompatibles. En effet, si D.ieu est D.ieu, ne peut-il pas déroger aux règles de la nature ? N’est-il pas également appelé ELOKIM de la valeure numérique de TEVA ? pourquoi une telle coïncidence, est-ce juste pour permettre à des Rabbins en manque d’aspiration de prononcer des beaux discours ? Ou alors pour nous apprendre que D.ieu se confond avec la nature au point de pouvoir la modifier à sa guise ?
Si scientifiquement et matériellement parlant, il est impossible de réunir 600000 personnes au pied du Mont Sinaï,
D.ieu n’en a-t-il pas le pouvoir ?
Mais comment faire comprendre ceci à des esprits modernes en quête de vérité ?
Je propose de parler intelligement, de tenter de combiner la rationnalité humaine et la littéralité de la Torah. Pour cela, il suffit de s’attacher à des auteurs du Moyen-âge tel le Ralbag, qui analyse chaque évenement "problématique" quant à sa potentialité de réalisation d’après notre perception des sens. Je vous invite notemment à lire son commentaire sur l’arrêt du soleil par Josué. Il parvient, sur ce passage comme sur d’autres, à montrer que les miracles décrits par la Torah peuvent s’expliquer sans faire appel à la notion de "surnaturel".
Et même le Ralbag, ce farouche défenseur de la rationalité des évenements, doit parfois s’incliner sur la position des Sages du Talmud à propos de certains récits bibliques. C’est notemment le cas dans son explication de la "montée au ciel" du prophète Elie, qu’il accepte à la lettre. D’après lui, le Prophète Elie serait littéralement "monté au ciel".
Et si celà est possible, n’est-il pas également possible que D.ieu ait réelement parlé à Moïse ?
L’enseignement est donc le suivant : toute explication de texte doit faire appel à la raison. Mais tout fait qui n’est pas perceptible par cette même raison n’en est pas pour autant irrationel.
Car, si l’on acceptait une remise en cause du récit Biblique à cause de notre non entendement de la chose, comment pourrions nous alors accepter la base d’une croyance en une Torah Orale et une Torah écrite : "Moîse reçut la Torah du Sinaï. Il la transmit à Josué ; Josué aux anciens, les anciens aux prophètes, et les prophètes la transmirent aux hommes de la Grande Assemblée" (Première Michna des Maximes des Pères) ?
Si la scène de la révélation est mythique, peut-être le dialogue entre D.ieu et Moïse l’est-il aussi ? Mais si cela est le cas, cette histoire d’une transmission de deux Torah est également un mythe ? Qu’est-ce qui nous pousserait donc à respecter les enseignements de cette Torah en l’abscence de force contraignante et de pouvoir coercitf...
... Si ce n’est la FOI ?
Mais alors, sur quoi serait-elle bâtie ? Si cette histoire de transmission de la Torah aux hommes n’est qu’une légende porteuse de sens ; sur quel témoignage vous basez-vous aujourd’hui, ou alors qur quelles preuves scientifiques, pour affirmer que D.ieu existe et qu’il a transmis sa Torah à Un Peuple ?
En attendant votre réponse, je terminerai sur une citation de Yigal Yadin, archéologue du 20ème siècle, avouant implicitementque ce n’est pas la Torah qui a besoin de la science, mais la science qui a besoin de la Torah :
"La vérité, c’est que notre guide principal était la Torah. En tant qu’archéolgue, je ne peux imaginer une émotion plus intense que celle de travailler une Bible dans la main et une pelle dans l’autre" (dans Hatsor, p.93 ; voir également les déclarations de chercheurs contemporains qui ont réfuté catégoriquement la critique biblique dans les livres suivants :"Mitkufat Haeven Ad Ha Natsrut" de W.F. Allbright, (p.143) ; "Avéla" de H. Bernmat et Y.M. Weizmann (p.67) ; "HaHistoria Shel Am Israël BiTkufat Haavot" de A. Spyzer (volume B) ; "Mahanayim", fascicule 31, aricle du professeur B. Mazar (P.21), ect...),
Cordialement,
F.G
ELO( )IM a la valeur numérique de HaTEVA (La Nature), c’est à dire 86.
Quoi qu’il en soit, le système de l’interprétation par la valeur numériques des mots n’est qu’un "ornement" de la véritable Etude. Le pillier sur lequel repose cet ornement est bien sur le raisonnement inhérent à cette étude.
F.G
Cher Monsieur,
Il me semble qu’il ne faut pas confondre les débats. Vous affirmez que « la science et la littéralité de la Torah ne sont en aucun cas, incompatibles » ; c’est un autre débat. Vous citez le grand philosophe Gersonide (Ralbag) qui est incontestablement un des plus grands penseurs du moyen-âge et qui fut particulièrement préoccupé par la véracité possible des miracles. (Il fut considéré comme hérétiques par les « orthodoxes » de son époque). Le problème est que tout comme pour Halevi, les affirmations de Gersonide ne sont pas forcément convaincantes pour un esprit contemporain. En effet, nos connaissances ont beaucoup évolué et nos problématiques ne sont plus les mêmes. La rationalité d’aujourd’hui se nourrit d’autres règles et d’autres connaissances que celle du moyen-âge. À n’en pas douter, un rationaliste comme Gersonide, verrait les choses différemment s’il vivait aujourd’hui.
La problématique soulevée par le rabbin Gilman consiste à affirmer que celui qui ne croit plus à « l’enchantement du monde » tel qu’il était encore possible au moyen âge, peut néanmoins continuer à pratiquer le judaïsme, à croire et à prier dans le Siddour traditionnel, à la condition d’avoir parcouru un certain chemin théologique.
Je ne vois pas bien l’intérêt de lui opposer des « preuves » sur la véracité des miracles qu’il connaît déjà et qui ne sauraient le convaincre. Si ces « preuves » convainquent d’autres personnes, tant mieux pour elles, le rabbin Gilman, ne s’adresse pas à un tel public.
Quant à la question du rapport entre Tora et sciences, je propose d’en débattre, dans un autre article.
Merci en tout cas encore pour votre intérêt et vos riches contributions.
Yeshaya Dalsace
C’est bizarre ? La problématique est la même chez les chrétiens. Chez eux, cela se nomme "la crise moderniste". Le résultat est la création de 2 mouvements fondamentalistes : un groupe d’églises conservatrices d’abord américaines, qui se nomment elles-même "fondamentalistes" et le courant qui mène la répression des chercheurs bibliques catholiques de Pie IX jusqu’à Vatican 2 (comme le montre le livre de François Laplanche, "La Crise des origines, la Science catholique des écritures aux 19ème et 20ème siècle" chez Albin Michel.
Elle n’a pas trouvé de solution jusqu’à nos jours. Quelques auteurs de ce domaine disent qu’elle est encore devant nous avec la situation actuelle.
Mais dans le judaïsme, la chose me semble plus surprenante. J’avais en tête, mais peut-être est-ce que je me trompe dans la chronologie, que la Haskala les avait saisis plus tôt avec Moise Mendelsohn. En outre, dès la création des "Sociétés de Littérature Biblique", les penseurs juifs s’y étaient précipités. J’avais trouvé ceci dans un discours de la SBL :
Salutations
Voir en ligne : A quoi tient la célébrité ? (recension d’un livre de Alfred Loisy)
Cher M.
Ne soyez pas surpris. La plupart des juifs ont été touchés par le mouvement de la Haskala et sont entrés de plain-pied dans la modernité. D’autres ont beaucoup plus de mal. Certains se raccrochent à un fondamentalisme « salvateur ».
Le mouvement Massorti est bien évidemment un enfant de la Haskala . D’ailleurs la plupart des noms que vous citez en ont été des figures centrales.
Dans l’ensemble, le judaïsme français est relativement « arriéré » sur ces questions. Beaucoup de juifs de base sont nourris de discours rabbiniques simplistes pour lesquels la Haskala représente au mieux un danger à éviter, au pire, une autre planète inaccessible.
cher Monsieur le pharisien libéré,
Je vous avouerais ne pas avoir lu le livre de Boyarin sur Paul.
Mais pour l’avoir parcouru rapidement, il me semble que sa thèse est de dire que ses écrits doivent être relus comme une formidable tentative de passer du particularisme à l’universel, de l’ethnique à l’éthique et qu’ils constituent une critique profonde d’un certaine tendance à l’autosuffisance et peut constituer une source d’inspiration pour les juifs résolument inscrits dans la modernité.
Or je souscris à tout cela sans pour autant le suivre dans la foi en Christ, ni dans les dénégations de certains aspects du judaïsme tels la place de la Loi.
Reste chez Paul une part non négligeable d’auto-négation, de reniement de ses racines et ancrages, malgré toutes les relectures, et en cela, il est aussi un archétype des ces juifs universalistes qui ont rompu avec leur peuple, parfois jusqu’à manifester un antijudaïsme profond. Nous avons grand besoin de Pauls pour oeuvrer à la charnière du particularisme et de l’universel mais un peu plus empathiques avec les nôtres, plus inspirés de notre propre spiritualité ou disons avec moins de ruptures...
Merci d’avoir attiré mon attention sur cet ouvrage qui semble en effet très "challenging"
Cordial chalom
Rabbin Rivon Krygier
Je n’avais pas eu le temps de lire attentivement ce texte. Intéressant. Il me semble cependant que le rabbin Gillman laisse de côté ce qui me paraît être une spécificité du mythe - qu’il présente comme une expérience personnelle cf § 2 & 3. A savoir qu’il est le contenu d’un souvenir collectif. Je ne souscris donc pas à la conclusion de l’article, où il affirme que "le mot mythe marche très bien pour moi, tout comme mon propre mythe"...!
Le mythe - souvenir collectif - peut être oublié et devenir un substrat mythologique des contes et légendes, ou être vécu, actualisé comme référence pour le futur. Dans ce cas, il est porté par une tradition, et il fait l’objet d’une transmission sélective : la tradition qui le véhicule sélectionne ce qui fait sens, elle occulte ce qui est sans signification utile pour édifier les individus d’une société donnée. La pertinence de l’histoire de Caïn ne vient pas de la réalité historique du personnage, mais de ce qui est est considéré comme important dans le présent continu transmis à son sujet : le personnage mythique est une projection de ce que nous sommes à telle ou telle phase de notre existence ("fixer les modèles exemplaires de toutes les actions humaines significatives" Mircéa Eliade). C’est pourquoi il importe peu de transmettre quoi que ce soit des femmes ou des soeurs de Caïn, voire de ses relations avec ses parents. A une autre échelle, la Tour de Babel est un mythe exemplaire de dysfonctionnement d’une société.
Le mythe me semble davantage nourrir l’intuition que le savoir, même s’il ne l’exclue pas... (il a même donné son nom à une science, la mythe-ologie !). Il ne prouve rien, il donne à chercher.
Mais peut-être est-ce trop de divagation...
Anne Marie Dreyfuss