Cette création a été rendue possible en grande partie à cause de la tragédie de la Shoah et de la nécessité de donner un lieu de refuge aux rescapés. Ce faisant, elle a favorisé le passage du Juif du statut de victime, méritant la compassion du monde eu égard à ce qu’il venait de subir, à celui d’un homme à qui on avait rendu sa dignité. En lui reconnaissant le droit d’avoir son propre Etat, on permettait en quelque sorte au peuple juif d’être réhabilité et d’être intégré dans l’ordre des nations. Cet Etat lui conférait une nationalité, sa propre nationalité, la nationalité israélienne, et celle-ci lui donnait une consistance autre que celle du Juif qu’il tentait de cacher souvent dans le passé. L’Etat, c’est l’existence politique et, donc, l’autonomie et l’affirmation de soi, mais aussi la possibilité de posséder une armée pour se défendre. L’Israélien existe, alors que le Juif était vulnérable, car apatride. L’exil bimillénaire des Juifs a pu s’achever et la cohabitation des Juifs au sein des nations, qui a été souvent difficile, n’était plus obligatoire. Les Juifs pouvaient enfin revenir à la maison, chez eux, sur leur terre ancestrale et dans un Etat reconnu politiquement.
Pourtant, l’ordre du Juif n’est pas l’ordre des nations. Pour les nations, l’ordre c’est d’abord le politique, et l’existence en tant qu’Etat est capital. Lorsque cet ordre est bafoué, soit elles agissent avec force pour le restaurer soit elles se désintègrent. Ceci explique les guerres incessantes qui se sont déroulées dans l’histoire, même entre les pays dits civilisés. Pour le peuple juif, l’ordre politique doit être au service de sa vocation éthique, et non le contraire. Celle-ci est prioritaire, car c’est elle qui définit son programme existentiel et sa raison d’être en tant que nation.
Ne nous y trompons pas. La question ne revient pas à devoir choisir entre l’Etat et l’éthique, car l’Etat d’Israël constitue précisément la forme politique la plus adaptée actuellement pour une expérience juive éthique, collective, libre et volontaire. L’Etat n’est pas une fin en soi. Il ne saurait se substituer à la vocation du peuple juif. Il doit faire place à cette vocation en lui accordant tout l’espace public nécessaire à sa réalisation et en s’y impliquant. Il ne doit pas oublier que "l’Etat d’Israël sera religieux ou ne sera pas". Religieux au sens le plus universel de ce terme, pour ceux qui se suffisent de cette déclinaison, mais aussi au sens le plus singulier pour ceux qui perçoivent dans la tradition juive le vecteur d’un humanisme exigeant et le ferment de son endurance à travers des millénaires malgré l’hostilité séculaire des nations. A l’heure où L’Etat d’Israël achève sa sixième décennie d’existence – nous venons de célébrer son 59ème anniversaire –, il est important pour nous de ramener cet événement à sa vocation ultime.
Les préceptes relatifs à la terre d’Israël (Sidra Béhar) et les conditions stipulées par la Tora pour le maintien du peuple d’Israël sur la terre ancestrale (Sidra béhoukotaï) doivent être présents constamment dans notre esprit afin que la réalité singulière du juif ne soit pas complètement occultée par les incessants mouvements de la scène politique.
Dr Elie BOTBOL
Auteur de " Quel avenir pour le judaïsme ? "
Edition l’Harmattan