Une réédition fortement augmentée de Rédemption et utopie vient de paraître aux Editions du Sandre. Il s’agit d’un travail érudit de Michael Löwy sur ce que peuvent avoir en commun le messianisme juif et les utopies libertaires du XXe siècle. Le sociologue Max Weber a probablement été l’un des premiers à formuler l’hypothèse du caractère potentiellement révolutionnaire de la tradition religieuse du judaïsme antique. Pour l’auteur de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, toute l’attitude envers la vie du judaïsme est déterminée par la conception d’une « révolution future d’ordre politique et sociale sous la conduite de Dieu ». Pour beaucoup d’auteurs comme Max Scheler, Karl Löwith, Nicolas Berdiaeff, c’est la pensée de Marx qui constitue typiquement l’expression profane du messianisme biblique. D’aucuns pensent qu’il s’agit d’une interprétation passablement réductrice de la philosophie marxiste de l’Histoire. Le philosophe allemand Karl Manheim se situe sur un terrain plus concret et plus précis quand, dans Idéologie et utopie, il avance l’idée d’un « anarchisme radical » qui serait la forme la plus pure de la conscience utopique et millénariste moderne. C’est également ce que pense le sociologue anarchiste juif Gustav Landauer qui fut l’un des dirigeants de la commune de Munich en 1919. D’autres, comme le dramaturge Ernst Toller (Hop là, nous vivons), ont joué un rôle important dans la République des Conseils de Bavière tandis que Lukacs et d’autres membres de l’intelligentsia de Budapest ont été parmi les dirigeants de la Commune hongroise de 1919. La nouvelle version de Rédemption et utopie répond par l’affirmative à la question de savoir s’il y a dans le messianisme juif des aspects pouvant s’articuler avec une vision du monde révolutionnaire. En fait, il contient deux tendances intimement liées et contradictoires, un courant restaurateur de type romantique tourné vers le rétablissement d’un état idéal du passé et un courant mis en avant par Gershom Sholem selon lequel la rédemption est un événement qui se produit nécessairement sur la scène de l’Histoire. Les idéologues les plus importants de ce messianisme purement révolutionnaire sont Ernst Bloch (Le principe espérance), Theodor Adorno (La dialectique négative) et Herbert Marcuse (L’homme unidimensionnel). Il faut ajouter à ce panorama la visée de Walter Benjamin qui a été de montrer que les philosophies de l’Histoire s’accommodent fort bien de l’idéologie du progrès tandis que le matérialisme historique, lui, débarrasse le progrès de son aspect inéluctable.
Trois souches : le romantisme allemand, le messianisme juif et le marxisme. Tous trois traversés d’intuitions fulgurantes. Comment savoir d’avance quelles aspirations seront ou non réalisables à l’avenir ? La démocratie apparaissait à cette époque comme une utopie irréaliste. L’auteur se réfère encore à trois penseurs qui représentent des variantes assez différentes de cette culture utopico-messianique de l’Europe centrale : Martin Buber, rénovateur de la spiritualité religieuse juive, Erich Fromm, freudo-marxiste d’inspiration sécularisée, et Bernard Lazare, assimilé, qui finit par succomber à la conversion catholique à l’issue de la réhabilitation du capitaine Dreyfus. Ce qu’il y a de plus intéressant dans ce nouvel ouvrage, c’est que les marxistes les plus radicaux sont ceux qui ont su exploiter les intuitions extérieures au marxisme. Voyez l’utilisation de la psychanalyse par l’Ecole de Francfort ou l’emploi par Lukacs des catégories sociologiques de Max Weber. Marx lui-même n’a pas produit son œuvre ex nihilo. Il s’est trouvé en dialogue permanent avec les penseurs révolutionnaires ou non de son temps.
Arnaud Spire
Rédemption et utopie. Le judaïsme libertaire en Europe centrale, de Michael Löwy. Éditions du Sandre, 2009, 308 pages, 32 euros.
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Bonjour
sur la question "Les anarchistes et les juifs" peut être serez vous intéressés par la lecture de ces articles : http://acontretemps.org/spip.php?rubrique64
bonne lecture si ...
Pierre