Fort du succès international de son précédent ouvrage Comment le Peuple juif fut inventé, Shlomo Sand, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel Aviv récidive avec Comment la Terre d’Israël… Pourquoi renoncer à une recette qui a si bien marché ?
De prime abord, l’argument de ce livre à prétention scientifique, paraît essentiellement sémantique, puisqu’il part de l’utilisation de l’expression Eretz Israel (la terre d’Israël) à travers les âges. Cette appellation qui exprime l’attachement séculaire des Juifs envers la terre biblique désignerait une réalité qui n’a tout simplement jamais existé et qui, selon l’auteur, ne servirait qu’une idéologie récente, le sionisme. Il est vrai que le Pentateuque ne connaît en effet que le « Pays de Canaan » et attribue des contours mal définis à la terre promise aux patriarches. L’auteur ajoute que le royaume de David (généralement daté du début du Xème siècle) est imaginaire puisque, selon une thèse à la mode, il n’y aurait jamais eu de « royauté unifiée » englobant toutes les tribus. Quant au royaume détruit en -587 par le roi babylonien Nabuchodonosor, il s’appelait « Royaume de Juda » et il y eut plus tard une « Judée » jusqu’au dernier soulèvement juif contre Rome (132-135).
Constatant que l’expression Eretz Israël apparaît dans la littérature rabbinique à partir du IIème siècle, Sand conclut que dès lors, il s’agit d’un souvenir mélancolique sans contenu réel qui n’implique aucune volonté de retour. Au XIXème siècle, « les sionistes » (toujours eux !) ont osé reprendre cette terminologie rabbinique d’ Eretz Israel pour prôner le retour à cette partie de l’empire ottoman qui, entre temps, avait reçu l’appellation de « Palestine » (les pays des Philistins selon l’étymologie). L’auteur eût sans doute voulu que les Juifs adoptent ce nom de Palestine qui avait été délibérément imposé par l’empereur Hadrien en l’an 135 – en représailles à la révolte juive de Bar Kohba contre l’occupation romaine, afin d’effacer tout souvenir de la Judée, terre des Judéens ou Juifs – de même qu’« Aelia Capitolina » (en référence à l’empereur et à Jupiter Capitolin) devait se substituer au nom de Jérusalem. Faut-il vraiment ajouter que tout lecteur de la Bible, juif ou chrétien, sait situer la Terre promise, quelle qu’en soit la délimitation exacte et quel que soit le nom qu’on veut bien lui donner.
Le sujet de la terminologie aurait pu à la rigueur donner lieu à un article de quelques pages, montrant l’apparition d’une expression et ses usages ultérieurs, dénonçant éventuellement les usages anachroniques, auxquels n’échappe pas le nom de Palestine ainsi sans doute que bien d’autres noms géographiques. Mais l’objectif de l’auteur va bien au-delà. Pour faire un livre, il fallait étoffer son propos. C’est pourquoi, l’auteur inclut un chapitre sur l’évolution de la notion de patrie et un autre sur le sionisme chrétien en Angleterre, qui ont toutes les allures d’un réemploi de cours professé en Faculté. On y apprend notamment que la notion grecque de patris (l’auteur s’obstine à utiliser l’accusatif grec patrida) a reçu bien des interprétations différentes avant l’avènement de la nationalité et de la patrie « super star » (on appréciera) des XIXème et XXème siècles, dont fort heureusement le post modernisme a fait justice.
Les chapitres 2 et 4 concernent l’un l’histoire antique et médiévale, l’autre l’histoire moderne et contemporaine d’Israël. S’il fallait en relever les approximations, les omissions, les interprétations douteuses, le ton constamment agressif et malveillant, le présent article lasserait l’attention du lecteur.
Par un retournement surprenant et, gageons-le, purement tactique, le très laïc Sand cherche, tout au long de ces deux chapitres, des alliés dans la tradition rabbinique juive. Il souligne que les rabbins du Talmud (Ier - IVème siècle) n’ont jamais parlé de patrie (et pour cause, si cette notion est née au XIXème siècle !),qu’ ils ont enjoint de ne pas retourner à Sion « en masse » (ce conseil d’une partie d’entre eux, mu par une prudence bien compréhensible en des temps difficiles, n’excluait donc pas les retours individuels) ;que le grand Maïmonide interdit de « hâter la fin » (cette expression reprise du Talmud vise à éviter l’aventurisme eschatologique qui avait entraîné la terrible répression romaine). Est-on certain que les Juifs de l’Antiquité n’aient pas ressenti quelque amour de la patrie quand ils revendiquaient leur liberté nationale ? Sand paraît ignorer que la fête de Hanoucca selon l’historien du Ier siècle Flavius Josèphe, était vécue comme fête de libération nationale (« car la liberté avait brillé pour nous de manière inespérée »), que les insurgés contre Rome étaient animés, toujours selon Josèphe, d’un « invincible amour de la liberté », que Maïmonide , à la suite de plusieurs maîtres du Talmud , envisage l’ère messianique comme un temps où Israël ne connaîtra plus la sujétion (sur quelle terre sinon la sienne ?). Parlant de Juda Halévi qui, d’Espagne, écrivit le poème « mon cœur est en Orient », Sand répète à deux reprises qu’il mourut « en chemin vers Jérusalem », omettant sciemment la tradition (fût-elle même légendaire) selon laquelle il aurait été piétiné par un cavalier arabe dans la ville même. Tout en reconnaissant ici ou là que les circonstances économiques, politiques, les dangers encourus, rendaient fort difficile le retour à Sion, Sand se complait à évoquer le refus « obstiné » des Juifs à rejoindre la Terre Sainte (même en pèlerinage à la différence des Chrétiens) et passe prudemment sous silence l’enthousiasme du retour qui saisit les partisans de Sabbataï Tsvi et les poussa à abandonner tous leurs biens pour suivre leur « Messie » en Terre promise. A aucun moment, Sand n’évoque l’existence précaire et misérable des dhimmis juifs des quatre villes saintes (Jérusalem, Hébron, Safed, Tibériade) où une présence juive était pieusement maintenue par les dons des fidèles de la diaspora. Les récits des voyageurs occidentaux du XIXème siècle ne manquent pas de témoignages sur les exactions et les humiliations quotidiennes qu’ils subissaient de la part de la population locale, mais ces textes ne méritent apparemment pas de retenir l’attention de l’auteur.
Pour démontrer la thèse « révolutionnaire » (qu’il partage avec les ultra-orthodoxes de Méa Shéarim !) selon laquelle « le sionisme ne s’inscrit aucunement dans la continuité du judaïsme dont il est la négation » (p. 322), l’auteur fait curieusement silence sur toutes les traditions qui s’expriment notamment dans la liturgie quotidienne, y compris les actions de grâces après le repas, où la mention de la terre est constamment présente. De fait, l’ultra-orthodoxie juive s’est opposée au sionisme non parce qu’elle ne veut pas du retour à Sion mais parce que, selon elle, ce retour ne doit s’effectuer que sous la houlette du Messie. En revanche, l’auteur mentionne à peine la pensée du Rav Kook qui, au début du XXème siècle, a souligné l’enracinement dans le judaïsme du lien avec Eretz Israël
Que Sand se rassure, les personnes peu informées seront séduites par sa fausse érudition, et les milieux bien pensants continueront ici et ailleurs à le considérer comme un personnage éminent éthique, puisqu’il fait sien le narratif palestinien. Certes, il lui manque la palme du martyre : il occupe toujours une chaire d’histoire à l’Université de Tel Aviv, sans que les « sionistes », qu’il dénigre à longueur de pages, songent même à l’en déloger.
Mireille Hadas Lebel
Messages
Dieu a donné à Abraham et à ses descendants la terre promise (Canaan) pour héritage. Pourquoi le peuple d’Israël devaient posséder ces contrées par la voie de combat ? En hébreu, le mot héritage a quel sens ? L’héritage est un dû. Pourquoi doit-on passer par la bataille pour s’en réjouir ? Merci de votre réponse.
Excellente critique ! Merci
Voir en ligne : http://modernorthodox.fr
Qui vous dit qu’on doit passer par la bataille ? ...
Tout est dit. Absolument remarquable et implacable. Merci
Merci pour ce texte je souhaiterais faire parvenir à Mireille Hadas Lebel le texte que j’avais écrit à propos de son premier ouvrage. Merci/
Shlomo Sand est un escroc intellectuel notoire .Il poursuit sa provocation, son travail de prédateur et falsificateur de l’histoire juive et du sionisme. Avec le même toupet que dans son précédent livre « le peuple juif existe-t-il ? » sans craindre le mépris de ses pairs, ni de nationalistes juifs ou de ses concitoyens, dont il tire sa substance vitale. La démocratie israélienne est exemplaire dans ce domaine. Evidemment, ses propos conviennent à l’appétit mercantile des éditeurs français bien inspirés en marketing, qui possèdent l’art de fabriquer un best-seller. Voire l’expérience précédente par ex du livre « Indignez-vous » de Stéphane Hessel », autre escroc intellectuel. Ce dernier, grâce à son livre précité, est devenu millionnaire en un tour de main ! Pourquoi Shlomo Sand s’en priverait-il ? C’est pourquoi il publie en France plutôt qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne, pays ou l’on exerce une rigueur intellectuelle coutumière. D’ailleurs, la France, pays en déconfiture sociale et économique se sert d’exutoire pour faire oublier ses misères temporelles. Ce pays est devenu la « tête de pont » de l’escroquerie intellectuelle européenne, voire mondiale. Shlomo Sand l’a bien compris. Paris abrite des milliers de transfuges, d’opposants, et de toute sorte de pseudo révolutionnaires et agitateurs, qui veulent changer leur gouvernement d’une manière ou d’une autre, l’idéologie et le mensonge leur assurent un bon accueil. Beaucoup payent un prix élevé à leur engagement. D’autres part, Shlomo Sand, ne tient nullement compte d’écrits, rapports et témoignages de livres érudits et déterminants anciens emplissant des rayons immenses de bibliothèques nationales dans le monde. Il ne tient pas compte d’ouvrages clés tels que ceux de : Flavius Joseph, d’Abba Eban, de Chouraki, Poliakov, Corcos, etc, ni de l’ouvrage écrit en 1695 « Palestina monumentalis » de Hadrian Roland, auteur hollandais, ouvrage mis en lumière récemment. Shlomo Sand, fait de l’histoire sans historicisme c’est inacceptable pour un pseudo « scientifique ». Dire que le royaume de David n’a pas existé, ses murs, ses chambres, ses pierres de « la cité de David » à Jérusalem, ne lui « crèvent » pas les yeux. Les palestiniens le croient très sincérement, car pour eux, le « mur des lamentations » ce n’est pas le « Temple du roi Salomon », non plus. C’est comme dire que l’Arc de triomphe ne se trouve pas à Paris. Cet allumé anti sioniste, est conscient que la presse internationale anti sémite et anti sioniste, lui tendra les deux oreilles, sans compter la réjouissance des antisémites pathologiques. Ce travail de destruction de l’identité juive par l’intérieur a connu des précédents ,
notamment de juifs qui ont glorifié l’œuvre d’Hitler, mais qui à sa mort ont péri lamentablement. L’histoire est jalonnée de ces malades du « Syndrome de Freud » auxquels appartient immanquablement Shlomo Sand. Des cinglés intelligents ou « salauds utiles » .
Voir en ligne : http:// hannburt@sunrise.ch
Non, Shlomo Sand n’est pas un escroc intellectuel. Il est juste un peu plus à la page des avancées de l’anthropologie contemporaine, et des innombrables travaux qui, tout au long du XXIème siècle, ont re-théorisé la notion de sujet, d’Etat, de peuple, de nation, etc... Après avoir montré comment, par un simple constat de son historicité, la notion de "peuple juif" est une construction, il parvient tout naturellement à la conséquence direct de ce constat : l’idée d’une terre naturellement rattachée à ce peuple est a fortiori, elle aussi, une construction. Rien de honteux à cela, il est de la nature de l’homme que de se pourvoir d’une identité. Un joli groupe d’homme en a construit une, fabuleuse, qui a perduré à travers les siècles, se modulant parfois, mais toujours tenant à coeur le souci de l’origine. Il est vrai que ce joli groupe s’est aussi épris d’une terre (et quelle terre !), et c’est très bien ! Mais cette idée de Peuple = Nation = Territoire est une construction européenne récente, et n’est pas une idée fondamentalement juive. Elle a fait des dégâts. Elle en fait encore....