La philosophe Catherine Chalier nous a habitués à d’excellents ouvrages de pensée juive qui méritent tous la lecture, mais celui-ci est différent par le sujet qu’il touche.
Rabbi Kalonymus Kalmish Shapiro naquit en 1889. Il dirigea une yeshiva hassidique à Varsovie avant la 2e Guerre mondiale. Il aimait à expliquer alors comment, malgré la finitude, il faut essayer, jour après jour, de devenir conscient de la présence de Dieu dans chaque pensée, chaque mot et chaque action. Il recommande une attention aiguë aux pensées qui traversent l’esprit, aux mots prononcés en priant, aux sentiments et aux émotions qui affectent chacun car tout cela témoigne de ce que l’âme humaine est sensible au monde où la personne vit.
Le sort va s’acharner contre Kalonymus Shapiro. Son épouse meurt en 1937. Son fils et sa belle-fille sont tués dans un bombardement en 1939. En 1941 il entre au Ghetto et survivra grâce à un poste de travail en usine aux diverses actions qui exterminent 300.000 Juifs du Ghetto à Treblinka. Début 1943 ce sera son tour… Au printemps 1943, le Ghetto est éliminé après son héroïque révolte.
Durant tout son internement au Ghetto, Kalonymus Shapiro enseigne la Tora et le hassidisme . Il veille de son mieux sur l’étincelle de sainteté et encourage ses élèves dans les conditions épouvantables que nous connaissons. Il va écrire (en hébreu), ses écrits seront enterrés avec les archives du Ghetto et seront trouvés après la guerre et publiés en 1960 sous le titre d’Esh Kodesh.
Catherine Chalier a fait un remarquable travail de présentation de l’ouvrage et en a traduit des extraits. Le résultat est un petit ouvrage que je vous conseille absolument. Ce n’est pas un ouvrage facile, car non seulement le sujet est terrible, mais aussi le langage hassidique et le monde spirituel auquel l’auteur fait référence reste complexe à pénétrer. Mais nous voilà face à des trésors de sagesse et de mysticisme et face à un témoignage spirituel unique.
Certains trouveront dérisoire cette tentative de se raccrocher à un Dieu silencieux, d’autres la trouveront sublime… Quoi qu’il en soit le témoignage de foi et de détresse du rabbin Shapiro mérite d’être entendu.
Extrait de Kippour 1941 : « Ainsi, pour ce qui concerne la ferveur dans la prière, chacun d’entre nous étant à terre, prostré et broyé, il n’y a personne pour dire la prière avec ferveur. Mais le roi David a dit : « Des profondeurs je T’ai appelé, Éternel » (Psaume 130, 1). Non d’une profondeur seulement, mais de deux. Car je T’ai appelé en tombant dans la première profondeur et non seulement je n’ai pas reçu de réponse et n’ai pas été sauvé, mais je suis tombé dans une seconde profondeur, une profondeur dans la profondeur. Et pourtant, même là. Je rassemble mes forces et je T’appelle encore. »
Extrait (février 1942) : « La grande souffrance de l’Éternel ne pénètre pas dans le monde [ … ] Si le monde entendait la voix de l’Éternel qui pleure, si l’on peut s’exprimer ainsi, il éclaterait. Si une étincelle de Sa souffrance pénétrait ce monde, elle consumerait l’existence des méchants. »
Extrait (juillet 1942) : « En vérité, il est stupéfiant de constater que le monde continue d’exister après tant de cris. On dit que quand dix personnes moururent pour le Royaume, les anges crièrent : est-ce la Torah ? est-ce sa récompense ? Une voix leur répondit du haut des cieux : si j’entends encore un autre cri, je transformerai le monde en eau. Et maintenant des enfants innocents, des anges purs et des grands saints d’Israël sont tués et massacrés pour l’unique raison qu’ils sont Israël. Ils sont plus grands que les anges et tout l’espace du monde se remplit de leurs cris, pourtant le monde n’est pas transformé en eau, il continue d’exister comme si, à Dieu ne plaise, rien ne l’avait atteint. »
Yeshaya Dalsace (janv. 2012)
Kalonymus Shapiro rabbin au Ghetto de Varsovie
Editions Arfuyen 2011