Quelle est la nature exacte de la faute qui est commise, et pourquoi est-ce seulement Myriam qui est punie ? Telles sont deux parmi les nombreuses questions que nous pose ce récit. Rappelons tout d’abord rapidement les faits : Myriam et Aaron font des reproches à Moïse à cause de la séparation qu’il observe avec son épouse. Eux-mêmes ne sont-ils pas également des prophètes, et pourtant ils continuent à se comporter en être humain. Dieu les convoque alors et leur explique qu’ils se trompent : la prophétie de Moïse est d’un autre ordre, car il est le seul à parler directement, "face à face", avec Dieu. Myriam se retrouve punie par la lèpre. Moïse ayant prié pour sa guérison, elle peut réintégrer le camp après 7 jours d’exclusion, du fait de l’impureté de la lèpre.
Dans le cours espace qui nous est donné, nous nous consacrerons sur le premier verset (Nombres, XII, 1) et sur son commentaire par Rashi : "Myriam parla, ainsi qu’Aaron, à propos de Moïse au sujet de la femme kouchite qu’il avait prise, car il avait pris une femme kouchite".
S’appuyant sur le midrash Sifri, Rashi se consacre tout d’abord au premier mot du verset (en hébreu) "vatedaber" (parla), et il remarque que le fait d’utiliser ici le "parler" (dibour) indique une intention dure, alors que l’utilisation du "dire" (amira) aurait au contraire indiquée une intention de douceur. Autrement dit, [*Rashi nous indique immédiatement la nature de la faute : l’intention.*] Myriam, suivie d’Aaron, aurait pu poser la même question à propos de la conduite de son frère vis-à-vis de son épouse, sans qu’il s’y prête à conséquence. Mais, dès le départ, le langage employé par Myriam indique une intention agressive, et non une volonté de comprendre.
Ainsi, la faute ne réside pas dans le fait de se poser des questions à propos de Moïse. Tout dirigeant, même le plus grand des prophètes, reste un homme sur lequel on peut s’interroger. [*Il ne s’agit donc pas d’une remise en cause du droit de critique, mais de la manière dont cette critique est effectuée, cette manière dévoilant l’intention véritable de celui qui critique.*]
Soulignant que c’est Myriam qui a commencé à parler ainsi, Rashi se pose la question de savoir comment celle-ci connaissait les secrets d’alcôve de Moïse et Tsipora ? Cette dernière avait exprimé à haute voix, devant Myriam, la séparation de fait qui existait entre elle et Moïse, et celle-ci s’était empressée de le rapporter à Aaron. Rashi souligne qu’elle ne l’a pas fait dans l’intention de faire honte à Moïse. Sans doute était-elle doublement choquée, en tant que femme et en tant que prophétesse, par l’abstinence que pratiquait Moïse. Mais non seulement elle a exprimé sa désapprobation d’une manière agressive, de plus elle l’avait fait en trahissant un secret dont il n’est pas sûr qu’elle avait le droit de le révéler. [*Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, et c’est pour ne pas en avoir tenu compte que Myriam est punie de façon spectaculaire.*]
Comme si cela n’avait pas d’importance, Rashi ajoute un élément qui nous paraît fondamental : "Et si Myriam qui n’avait pas l’intention de lui faire honte a été ainsi punie, combien plus celui qui dévoile la honte de son prochain". Cette remarque anodine est une clé pour comprendre la place de ce récit de la médisance dans le déroulement du livre des Nombres.
Cette histoire se trouve placée, en effet, juste avant le récit des explorateurs, une affaire qui, on le sait, va entraîner la condamnation du peuple à errer dans le désert 40 ans, jusqu’à la disparition de la génération de la sortie d’Egypte. Or de nombreux éléments parallèles se retrouvent dans les deux épisodes, et notamment les deux éléments que nous venons de souligner. Il y a une intention malveillante dès le début de la mission des explorateurs, et ils dévoilent publiquement un secret : la terre promise n’est pas qu’une terre qui ruisselle de lait et de miel, mais également une terre qui dévore ses habitants !
[*De même que Myriam et Aaron n’ont pas compris la nature fondamentalement différente de la prophétie de Moïse, de même les explorateurs n’ont pas compris la nature fondamentalement différente de la terre d’Israël par rapport à toutes les autres terres.*] Myriam, qui ne cherchait pas à faire honte à son frère, a été comme une morte-vivante pendant une semaine. Les membres de la génération de la sortie d’Egypte, qui ont été véritablement malveillants vis-à-vis de la terre d’Israël, sont devenus comme des morts-vivants, condamnés à rester dans le désert et à y disparaître.
Certains détracteurs ultrareligieux de l’Israël d’aujourd’hui devraient peut-être y réfléchir.
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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