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Récit ou histoire ?

Récit ou histoire ?

Alain Michel Parashat H’aye Sarah -

Les progrès de la science archéologique mettent de plus en plus à mal l’historicité du récit biblique. La Torah, la Bible, sont sources de vérités théologiques, et non de vérités scientifiques. Nous devons revenir à une lecture symbolique et éthique de la Torah en affirmant nos croyances

Notre parasha   se concentre sur le récit de deux événements distincts.

Le premier, avec l’achat du caveau de Makhpéla à Hebron par Abraham, est centré autour d’un événement dramatique, la mort de Sarah, la première des quatre matriarches du peuple d’Israël.

Le second récit, centré sur la manière dont Rebecca entre dans la famille Abrahamique pour devenir l’épouse d’Isaac, nous fait passer de l’atmosphère du deuil à celle des fiançailles, à l’optimisme de la construction de l’avenir.

Ces deux récits sont à la base d’un certain nombre de croyances fondamentales du peuple d’Israël telles qu’elles ont été formulées dans le Judaïsme rabbinique.

Ainsi la longue description de l’achat, par Abraham, de la caverne d’Hébron fonde le droit fondamental du peuple juif à la propriété de la Terre d’Israël, puisque nous ne somme plus seulement en présence d’une promesse divine, mais que nous assistons au début de sa réalisation concrète par la volonté des hommes. Il en sera de même pour l’achat du tombeau de Joseph, à Sichem, ou pour l’achat de l’aire d’Aravna, là où sera construit le Temple.

L’histoire d’Eliezer à la recherche d’une épouse pour le fils d’Abraham fait entrer le Judaïsme dans le principe de l’endogamie. L’interdiction d’épouser les filles de Canaan, "étrangères" par excellence, amène les patriarches à chercher des épouses pour leur héritier au sein de la famille restée à Haran. L’histoire se répète là aussi avec le récit de la rencontre entre Jacob et Rachel, une génération plus tard.

L’historisation de la société occidentale dans le monde moderne, c’est-à-dire la conception d’un monde dans lequel l’histoire est la clé de la vérité et le passage obligé de l’analyse, a influencé considérablement l’appréhension du récit biblique dans le peuple juif. On pourrait résumer cette transformation par la formule suivante : "l’histoire sainte est devenue histoire". En quelque sorte, les Juifs, pour renforcer leurs propres croyances à leurs propres yeux, en sont venus à croire que le récit biblique était un récit d’histoire puisque autrement il perdait toute crédibilité aux yeux de la civilisation ambiante, et donc aux yeux des Juifs eux-mêmes, plongés dans cette civilisation.

Ce phénomène n’est pas d’ailleurs exclusif au Judaïsme moderne, mais il se retrouve par exemple dans les courants du christianisme au XIXième et au début du XXième siècle. Cette historisation de la Bible a marqué profondément l’archéologie biblique, au moins jusqu’au début des années 70 du siècle dernier. Ce regard porté sur la Torah fait que notre appréhension du texte est guidée par l’idée que nous lisons un livre de chronique historique, un récit dont tous les détails sont marqués du sceau de Clio.

Or les progrès de la science archéologique mettent de plus en plus à mal l’historicité du récit biblique. Certes il reflète des périodes historiques, et l’archéologie a prouvé depuis longtemps que nombre d’affirmations bibliques reposent sur une réalité. L’exemple le plus classique est celui de la ville d’Ur, considérée comme une pure fantaisie jusqu’à ce que les ruines de cette cité soient découvertes par hasard au milieu du XIXième siècle. Mais nombre de détails montrent que la chronologie comme le récit sont des amalgames de faits historiques plus qu’un compte-rendu exact des évènements. Prenons un exemple dans notre parasha   : le chameau y joue un rôle central dans les pérégrinations d’Eliezer à la recherche de Rivka. Cette scène est censée se dérouler au temps des patriarches, vers – 1800 de notre ère. Or l’utilisation du chameau comme moyen de transport au Proche-Orient n’a pas commencé avant l’an – 1000. Que doit faire le juif moderne dans ce cas là ? Si la Torah est un livre d’histoire sacré, il ne peut que rejeter les conclusions de l’archéologie moderne. La croyance en la science vient paradoxalement nier les affirmations de la science !

Ce regard historisant aurait été très étrange pour les Juifs du passé. En effet, pour les maîtres du midrash   comme pour les grands commentateurs, la Torah, la Bible, sont sources de vérités théologiques, et non de vérités scientifiques. D’où la possibilité de jouer avec ce récit, qui n’est pas histoire, en le transformant, en l’enrichissant, en l’approfondissant. D’où l’existence souvent de regards opposés sur le texte : ainsi, si le seder olam prétend que Rivka avait trois ans dans notre récit, un autre midrash  , sekhel tov, avance également l’hypothèse qu’elle avait 23 ans. Il est bien évident qu’il ne s’agit pas là d’un débat entre deux historiens de l’université, mais entre des sages   qui lisent chacun le récit à leur manière pour en tirer des leçons morales et des modes de comportement.

Ainsi, me semble-t-il, devons nous revenir à une lecture symbolique et éthique de la Torah en affirmant nos croyances : oui, la caverne de la Makhpéla est un endroit important pour notre identité nationale, oui l’endogamie est un comportement essentiel pour la continuité du peuple juif, même si ces deux affirmations reposent sur les récits de la Torah et non sur des chroniques de l’histoire mondiale.

Rabbin   Alain Michel – Rabbin   Massorti   à Jérusalem et historien
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