Si on met de côté les quelques derniers versets de cette section shabbatique, qui sont en fait essentiellement reliés à la parasha de la semaine prochaine (Pinhas), nous nous apercevons que l’ensemble du texte, prés de 100 versets, est construit autour de la rencontre de trois personnages-symboles : Balak, l’ennemi qui cherche à détruire, le Peuple d’Israël, en route pour la terre promise, et ce “troisième homme” représente par Bilaam. Celui-ci se trouve place dans notre histoire exactement à l’emplacement du choix : va-t-il se tourner vers Balak, et s’associer ainsi au mal, ou va-t-il se tourner vers Israël, et prendre ainsi la défense du persécuté ?
Or Bilaam n’est pas un caractère simple dans cette sorte de pièce de théâtre, quelqu’un qui d’entrée de jeu se présenterait comme un saint, ou au contraire comme un bourreau. A l’image de la plupart des êtres humains, il doute et hésite entre intérêt à court terme ou a long terme. Il se débat entre sa fidélité envers Dieu et la recherche d’un compromis avec ses principes qui lui permettrait d’endormir sa conscience et de s’enrichir matériellement. L’une des premières scènes de notre récit le montre ainsi recevant les envoyés de Balak et leur expliquant son impossibilité de désobéir à Dieu et venir maudire Israël, tout en leur proposant de passer la nuit dans sa maison dans l’espoir que Dieu changerait entre-temps d’avis !
Un midrash célèbre présente Bilaam comme l’un des trois conseillers de Pharaon, conjointement avec Jethro et Amalek, à l’époque de l’enfance de Moise en Egypte. Ce midrash analyse Bilaam à travers le même regard et le montre incapable de choisir son camp, entre la cruauté d’Amalek, et la bonté de Jethro.
Bilaam est donc bien une sorte de paradigme de l’être humain, ni complètement “rasha” (méchant) ni complètement “tsadik” (juste). Mais Bilaam n’est pas qu’un simple être humain, et il jouit d’une position importante, tant au regard des hommes (visible dans l’attitude de Balak), qu’au regard de Dieu, avec qui il bénéficie d’une possibilité de dialogue. C’est pourquoi nombre de commentateurs ont vu en lui un véritable prophète des nations. Cependant, d’autres maitres du Judaïsme font remarquer que l’esprit divin ne s’empare de lui que vers la fin de notre histoire, lorsqu’il prononce une magnifique prophétie sur le Peuple d’Israël. Si c’est ainsi, il n’est donc pas, des le départ, un prophète, et sa notoriété doit être fondée sur autre chose. Pour le Zohar et la Kabbale, Bilaam est en réalité l’archétype du magicien !
Il n’est pas de notre propos ici de débattre de la magie et des rapports complexes du Judaïsme avec celle-ci. Le cadre de ce commentaire n’y suffirait pas. Contentons-nous d’admettre que Bilaam possédait des pouvoirs lui permettant d’influer, positivement ou négativement, sur les événements et les hommes. Ce qui l’amène, dans la Torah, à utiliser de manière positive ses pouvoirs, en bénissant finalement Israël, tient en une chose : le fait que jusqu’au bout, malgré ses hésitations, il place la volonté de Dieu au-dessus de la sienne propre.
En ce sens, [*Bilaam est un exemple a méditer pour tous ceux qui n’hésitent pas a utiliser le pouvoir qui leur a échu pour satisfaire leurs ambitions ou leurs rancœurs personnelles, oubliant que ce pouvoir ne leur a été accorde que pour s’en servir “au nom du ciel”.*]
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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