I – Introduction :
Si j’ai décidé de m’arrêter sur ce livre, c’est parce qu’il traite d’un sujet qui nous concerne, mais qui malheureusement est trop méconnu. Peut-être est-ce du à la période de ces évènements, juste au lendemain de la seconde guerre mondiale… Toujours est-il que Moïse Rahmani a intitulé son œuvre L’exode oublié – Un terme employé, selon Alexandre Del Valle, géopolitologue qui préface le livre, « parce que moins connu que l’exode des Juifs d’Europe centrale et orientale, avant et après la Shoa, celle-ci étant un événement inouï ».
Et pourtant, il est question ici de près d’un million de juifs qui ont du quitter leurs foyers. De mon côté, j’avoue ne pas réussir à qualifier les différents traitements subis par ces juifs des pays arabes, tant ils ont été humiliés, violentés, emprisonnés, blessés, parfois tués, expulsés et chassés, nombreux d’entre eux devenant apatrides…
Et pourtant, l’histoire nous rappelle que depuis des temps immémoriaux - plus de deux mille ans - des Juifs vivent au Moyen-Orient. Leur présence est en effet antérieure à l’arrivée de l’Islam au VIIe siècle.
L’auteur Moïse Rahmani explique dans son ouvrage les causes et les conditions du départ de près d’un million de Juifs vivant dans les pays arabes.
Lui-même est un rescapé d’Egypte ; sa famille ayant été forcée au départ en 1956. C’est à travers des souvenirs personnels et de nombreux témoignages qu’il raconte cet épisode historique méconnu, voire « oublié » d’après lui… Malgré toutes les douleurs et souffrances relatées, impossible de trouver la moindre trace de haine dans les propos de Moïse Rahmani, ce qui selon moi, renforce la crédibilité du livre.
Concernant cet exode en question, il est évidemment difficile d’y trouver une raison majeure. Si on regarde l’histoire : au début des années 40, la question de la Palestine devient de plus en plus une cause panarabe. Plusieurs pogroms et émeutes antijuives se produisent dans de nombreux endroits du monde arabe : Irak, Libye ou la Syrie par exemple.
Ensuite, la création de l’Etat d’Israël, en 1948, déclenchera envers les communautés juives des pays arabes une vague de violence entraînant ce début d’exode.
Beaucoup d’Israélites tenteront d’acquérir une nationalité étrangère pour échapper au statut de dhimmitude et à la Charia, le code rigide qui régit les heures de chaque Musulman et qui défavorise le dhimmi, un statut que nous développerons un peu plus tard. C’est donc environ 900 000 personnes qui ont dû quitter des pays dans lesquels ils étaient installés depuis fort longtemps, en y abandonnant tous leurs biens.
II – Dégradation des conditions de vie :
Toujours dans la préface du livre, Alexandre Del Valle, affirme que « Les Juifs avaient généralement en terre d’islam, une vie somme toute paisible jusqu’en 1947. Mais cette tranquillité bascula lorsqu’Israël vit le jour et lorsque les Etats arabes gagnèrent leur indépendance ».
En 1948, la guerre déclarée par six Etats arabes à l’Etat d’Israël conduit à une aggravation de la condition juive. En Egypte, par exemple, de 1948 à 1949, des Juifs furent internés dans des camps. Quelques années plus tard, la nationalité égyptienne est retirée aux « sionistes », selon le terme employé, et leurs biens mis sous séquestre. En Irak, même topo : dès 1948 le sionisme se retrouve dans la catégorie des crimes d’opinion, passible de sept ans de prison et d’une amende. En 1950, la nationalité est retirée aux Juifs qui seront dépossédés de leurs biens en 1951. Cette même année, la synagogue de Bagdad fut la cible d’un attentat. Au Yémen, la communauté juive s’est vu donner une courte période pour quitter les lieux, avant que toute émigration lui soit interdite. Elle fut dépouillée de tous ses biens par un subterfuge des autorités locales. Ces expulsions et ces violences s’étendront dans toute la péninsule Arabique… Extorsions et tueries se multiplièrent en Algérie, au Maroc, au Yémen, en Irak, en Libye, en Syrie, en Tunisie ou en Egypte. Des pogroms anti-juifs ont été recensés dans la plupart de ces pays.
Dans les pays arabes, le Juif avait le statut dit de « dhimmi ». Un terme qui vient de Dhimma, qui selon le droit musulman désigne, en pays d’islam, le régime juridique auquel est soumis un non-musulman. Ainsi, le dhimmi se voit accorder une liberté de culte restreinte et une sécurité relative en échange de certaines contraintes comme des taxes, mais également des contraintes vestimentaires ou même par exemple, l’interdiction de construire de nouveaux lieux de culte. Un statut qui a fini par se détériorer, poussant alors ces juifs à un choix inéluctable : le départ.
La majorité de ces exilés partirent en Israël. Et la minorité partit en Occident, dont la plupart des Juifs d’Algérie, citoyens français, rejoignirent la métropole suivie d’une remarquable intégration.
Les causes de cet exode massif sont multiples : montée du nationalisme arabe qui mène à l’exclusion de certaines populations minoritaires, développement du sionisme qui pousse certains Juifs à s’installer en Israël par idéal politique et/ou religieux et motivations sécuritaires et économiques. Les pays d’accueil de ces Juifs sont principalement Israël et les anciennes métropoles dont ils étaient citoyens ou protégés : France, Italie, Royaume-Uni, mais aussi le Canada, les États-Unis ou le Brésil.
III – Les évènements en chiffres :
Ces départs ont marqué la fin de la presque totalité des communautés juives dans des pays où leur présence était souvent plurimillénaire. Les chiffres sont édifiants et parlent d’eux même. Personnellement, c’est l’une des choses qui m’a le plus marquée : comment des communautés de dizaines voire de centaines de milliers de personnes ont pu être ainsi chassées ?
Voici un tableau démontrant parfaitement cette dramatique évolution :
Population juive 1948 2002
Algérie 145.000 estimation de moins de 50
Bahreïn 400 20
Egypte 85.000 50
Irak 140.000 moins de 100
Liban 5.000 70
Libye 40.000 0
Maroc 280.000 2.500
Soudan 400 0
Syrie 35.000 120
Tunisie 115.000 1.500
Yémen (Aden compris) 60.000 200
Total 905.800 4.260
Ces chiffres sont tirés du « Million oublié, Réfugiés juifs des pays arabes » publié par l’Organisation mondiale des Juifs originaires des pays arabes le 4 mars 1988 à Genève. Ceux de 2002 sont basés sur des estimations du Congrès Juif Mondial. Autre source : wikipédia.
Durant les dix-huit mois qui suivirent la Déclaration d’indépendance d’Israël, près de 350 000 juifs ont rejoint l’état hébreu. Trois ans plus tard, ils seront au total 650 000 à avoir émigré vers Israël. Dans les années 50-60, la France a accueilli de nombreux juifs des pays arabes, notamment ceux d’Algérie, plus de 100 000 l’été 1962. Aujourd’hui, un juif est pratiquement interdit de séjour dans certains de ces pays arabes. Ou du moins, il lui sera déconseillé de s’y rendre…
IV – Conclusion :
Comme on vient de le voir, les juifs dans ces pays ne se comptent plus que par centaines, dizaines voire parfois ne s’y trouvent plus du tout. Quelques milliers subsistent encore au Tunisie et au Maroc, mais n’oublions pas que cinquante ans auparavant ils étaient respectivement plus de 100 000 et plus de 250 000. On estime qu’en 2005, il ne reste plus qu’environ 5 000 Juifs vivant encore dans des pays arabes.
Dans la préface de L’exode oublié : Juifs des pays arabes, le député européen François Zimeray affirme : « l’histoire est injuste et elle n’a pas retenu cet exode, que ni les gouvernements ni l’ONU n’avaient vu. » Dans son livre, Moïse Rahmani préfère y garder la nostalgie de la vie multiculturelle de l’Egypte de son enfance. L’auteur y affirme pouvoir facilement s’entendre avec un Arabe, dans le respect mutuel. Au tout début de l’ouvrage, il cite d’ailleurs un proverbe algérien : « Un marché sans Juifs c’est comme une justice sans témoins »…
Juliana Castillo pour Massorti .com