En 1973 sortait le livre autobiographique de Joseph Joffo : un sac de billes. Ce fut un succès de librairie immédiat. Une vingtaine de millions de livres vendus dans 23 pays…
C’est l’histoire d’un gamin juif de 10 ans habitant Paris qui fuit en 1942 vers la zone libre avec son grand frère. Le récit raconte les aventures de ces deux frères jusqu’à la libération. Contrôle d’identité dans le train, un curé anonyme les sauve en affirmant les accompagner. Passage de la ligne de démarcation. Réunion de toute la famille à Menton dans la zone italienne. Puis arrivée des allemand après la chute de Mussolini en septembre 1943 et arrestations, extraordinaire libération grâce au prêtre de l’église de la Buffa à Nice, refuge près du Vercors et enfin libération. De cette famille nombreuse, il y a aussi d’autres grands frères, seul le père a été pris, déporté et assassiné à Auschwitz-Birkenau… Une histoire comme tant de familles juives ont vécu dans la France de Vichy.
Le titre "un sac de bille" vient d’une petite anecdote assez cocasse : le jour où l’étoile jaune devient obligatoire, les gamins juifs sont évidemment objet de moquerie à l’école, mais curieusement, un camarade la trouve plutôt belle et l’échange contre un sac de billes, pour en posséder un exemplaire…
Ce livre a marqué une génération et fut pour moi une révélation, j’avais l’âge du héros quand je l’ai lu à sa sortie et son histoire était à peu près celle de mon père durant la même période. En lisant ce livre, je découvrais donc une histoire de famille dont on ne parlait jamais et je prenais conscience du poids de ma judéité absolument insouciante dans les années 1970. Je dois donc beaucoup à ce récit qui fut un des premiers à parler de la Shoa au grand public. C’est en effet à cette période qu’on commence à parler de tout cela à travers différents livres et films.
En 1975 sortait l’adaptation cinématographique par Jacques Doillon qui fut aussi un beau succès. Mais le film de Doillon, pas mauvais en soi, avait un défaut majeur, il présentait trop cette fuite comme des grandes vacances prolongées, une espèce d’aventure de gosses. On pourrait presque penser que dans le fond, on s’amusait bien sous l’occupation…
Quarante ans plus tard, une nouvelle adaptation du roman est réalisée par Christian Duguay et sort sur les écrans en France en janvier 2017. Cette nouvelle version a été faite en étroite collaboration avec l’auteur et cherche à être le plus fidèle possible au récit. Contrairement à celle de Doillon, elle met l’accent, non sur le jeu et l’aventure, met sur la terreur et le risque absolu.
Elle est meilleure à mon avis car elle montre efficacement ce que fut pour des gosses, le cauchemar de cette période où l’angoisse était omniprésente. Elle met l’accent sur cette famille, chaleureuse et unie, qui va être séparée, brisée par la déportation du père, traumatisée par ces années terribles. L’enfant de 10 ans à l’inverse du film de Doillon, n’a plus d’enfance, il vit dans un monde où la menace se fait de plus en plus forte, où tout est fragile, rien n’est sûr. La version de Doillon montrait aussi le danger, mais mettait surtout l’accent sur la préadolescence du petit Joseph Joffo, sur ses premiers émois amoureux, ses relations avec ses camarades de pension, son grand frère un peu écrasant… C’était plus un film sur l’enfance que sur la survie. La nouvelle version de Christian Duguay fait l’inverse, elle montre la difficulté d’être un enfant dans une telle période et dans de telles conditions. On notera notamment la scène d’interrogatoire où les enfants doivent résister pour ne pas avouer qu’ils sont Juifs, scène brutale où la perversion du chasseur de Juifs, loin d’être naïf, ne lâchant pas sa proie est montrée avec beaucoup d’efficacité. Le film montre très bien la perversité du bourreau et la nasse qui se refermait sur les Juifs et l’immense difficulté d’y échapper. J’ai par exemple apprécié un détail de mise-en-scène : le pleur insistant de bébé en bruit de fond dans la scène où les Juifs sont entassés dans une pièce de l’Excelsior à Nice, ce pleur énervant, anonyme, qu’on voudrait entendre cesser, mais qui ne cesse que parce que les allemands emmènent tout le monde, bébé compris…
Une des raisons de la réussite du film est la qualité des deux jeunes acteurs, notamment Dorian Le Clech qui joue Joseph Joffo. On peut saluer aussi le couple Bruel Zilberstein crédibles et émouvants ce qui n’était pas évident. La mise en scène est rythmée et sans fioritures, elle réussi le difficile pari de passer du rire aux larmes, de l’intime de l’enfance et de la vie familiale à la brutalité de la barbarie au pouvoir…
Certes c’est un film de plus sur cette période largement traitée au cinéma, mais c’est un film efficace, bien fait, bien joué. Un bon instrument pédagogique à voir en famille et à discuter. Une excellente occasion de faire découvrir cette triste période de notre histoire à la nouvelle génération.
Sur le plan du yiddish (langue que le vrai Joseph Joffo parle très bien), il y a dans le film une petite scène au café dans la zone italienne qui montre des Juifs âgés discutant en yiddish et parlant français avec un accent bien marqué. Petit clin d’œil donc à tous ces Juifs immigrés qui ne pouvaient pas se cacher car trop faciles à repérer dès qu’ils ouvraient la bouche et qui en effet seront largement raflés une fois les italiens partis.
On peut juger la qualité d’une œuvre ou à son style ou à son efficacité dans ce qu’elle produit en nous. Un sac de billes n’est pas un chef d’œuvre littéraire et le film de Christian Duguay n’est pas non plus le film de l’année, mais je sais ce que le livre a produit sur moi dans mon enfance, comme une sorte de révélation, un choc qui a peut-être déclenché un processus de militantisme juif à plein temps passant par l’Alya et le rabbinat. Le film m’a replongé dans cet état d’émotion de mon enfance, cette découverte d’une part de moi-même avec beaucoup d’efficacité et rien que pour cela j’invite à aller le voir et j’en remercie les auteurs.
Yeshaya Dalsace