Biographie
Heinrich Graetz (né le 31 octobre 1817 – décédé le 7 septembre 1891) père fondateur de l’historiographie juive moderne, a été le premier historien à écrire une histoire complète et monumentale du peuple juif dans une perspective juive.
Tzvi Hirsh Graetz naquit dans une famille de bouchers à Książ-Wielkopolski (Poznań) en Allemagne (aujourd’hui en Pologne), il obtint son doctorat de l’Université d’Iéna.
Après 1845 il fut directeur de l’école orthodoxe juive de la communauté de Breslau (aujourd’hui Wrocław, Pologne) et enseigna par la suite l’histoire au Séminaire Théologique juif de Breslau du mouvement Massorti dont il fut cofondateur avec Zecharia Frankel. Son magnum opus, L’Histoire des Juifs, fut vite traduit dans d’autres langues et éveilla dans le monde entier l’intérêt pour l’histoire juive.
Graetz est aussi l’auteur d’une thèse de doctorat intitulée « Gnosticisme et Judaïsme » qu’on lira ici également. L’intérêt de l’auteur pour la période talmudique et le judaïsme antique est inséparable de ses préoccupations pour des problématiques contemporaines : le monolithisme réel ou supposé des maîtres du Talmud , leur attitude face à la gnose, leur recherche des motivations des préceptes, leurs relations avec d’autres systèmes religieux.
Graetz avait bien senti que les relations du judaïsme et du gnosticisme méritaient une étude serrée : à la fin de ce livre, il notera que la kabbale médiévale allait se réapproprier ce legs contesté. Dans sa discussion des origines de la kabbale, Scholem consacrera une grande attention aux hypothèses émises par Graetz.
En 1869 l’Université de Breslau lui accorda le titre de professeur honoraire, en 1888 il fut nommé membre Honoraire de l’Académie Royale espagnole des Sciences.
Sa période orthodoxe :
Graetz reçut sa première éducation à Zerkov, où ses parents s’étaient installés et en 1831 il fut envoyé à Wollstein, où il fréquenta la yeshivah jusqu’en 1836, acquérant des connaissances profanes par ses études privées. Les Neunzehn Briefe von Ben Uziel (19 épitres sur le Judaïsme) de Samson Raphael Hirsch (fondateur de l’Orthodoxie moderne) firent sur lui une impression puissante et il résolut de se préparer à des études théoriques pour se faire le champion de la cause du judaïsme orthodoxe . Son intention première était d’aller à Prague, où l’attirait la réputation de sa vénérable yeshivah et les possibilités d’étude offertes par l’université. Ayant été refusé par les fonctionnaires de l’immigration, il revint à Zerkov et écrivit à S. R. Hirsch, alors rabbin d’Oldenburg, en lui faisant savoir son désir. Hirsch lui offrit de l’héberger chez lui. Graetz y arriva le 8 mai 1837 et passa trois ans auprès de son patron comme élève, compagnon et copiste. En 1840 il accepta un préceptorat dans une famille à Ostrowo et, en octobre 1842, il entra à l’Université de Breslau.
En ce temps-là la controverse entre le judaïsme réformateur et l’orthodoxie était à son comble et Graetz, fidèle aux principes de Hirsch dont il était imbu, commença sa carrière littéraire par ses contributions à Orient, dirigé par Julius Fürst, où il critiqua sévèrement le parti de la Réforme, aussi bien que l’édition de la Mishnah par Geiger (Orient, 1844).
Ces contributions et sa défense de la cause conservatrice à l’occasion des conférences rabbiniques le rendirent populaire parmi le parti orthodoxe . Ce fut surtout le cas quand il fit campagne pour qu’on donnât un vote de confiance à Zacharias Frankel, fondateur du mouvement Massorti , après qu’il eut quitté la conférence de Francfort à cause de la position qu’avait prise la majorité sur la question de la langue hébraïque.
Après que Graetz eut obtenu son doctorat à l’Université d’Iéna (avec la thèse De Auctoritate et Vi Quam Gnosis in Judaismum Habuerit 1845, publiée un an plus tard sous le titre Gnosticismus und Judenthum).
Il rejoignit Samson Raphael Hirsch alors rabbin en chef de Moravie.
Hirsch, qui envisageait alors de créer un séminaire rabbinique, employa Graetz comme enseignant à Nikolsburg et lui donna ensuite une position comme directeur de l’école juive dans la ville voisine de Lundenburg (1850). En octobre 1850, Graetz se maria avec Marie Monasch, de Krotoschin.
Rupture avec Hirsch :
Assez vite Graetz se heurte au dogmatisme de Hirsch qui refuse toute approche historico critique des textes de la tradition.
C’est justement l’étude des conditions de la création et de l’évolution du judaïsme rabbinique qui passionne Graetz. Un des pionniers en la matière était Frankel avec la publication de son fameux « Darkei hamishna » en 1859 qui vaudra à Frankel les foudres de Hirsch lui reprochant d’oser contextualiser l’œuvre des rabbins et démontrer certaines influences extérieures.
Hirsch attaquera très durement son ancien disciple Graetz lorsqu’il publiera un volume de son monumentale Histoire des Juifs…
[*C’est donc bien le refus de la prise en compte intellectuelle de l’histoire comme science, de même que la présentation critique d’un texte qui marqua la rupture véritable entre l’orthodoxie moderne de Hirsch et le Mouvement Massorti naissant.*]
Graetz, tout comme Frankel, refusa les appels à l’autocensure d’un Hirsch, désormais beaucoup trop dogmatique et apologétique pour un savant de son tempérament.
Création du Mouvement Massorti :
Durant toutes ces années, Graetz était resté en relations épistolaires avec Frankel et collaborait à la revue d’études juives dirigée par celui-ci. En 1854, Frankel fit appel à lui comme enseignant au tout nouveau séminaire rabbinique de Breslau, dont la création marque le début officiel de l’existence du Mouvement Massorti . Il garda cette situation jusqu’à sa mort, enseignant l’histoire et l’exégèse de la Bible, avec un cours préparatoire sur le Talmud . En 1869 le gouvernement lui conféra le titre de professeur et à partir de ce moment il fit un cours à l’Université de Breslau.
Entre temps les attaques acerbes de Hirsch s’étaient multipliées et la rupture définitivement consommée.
En Erets Israël :
En 1872 Graetz se rendit en Palestine en compagnie de son ami Gottschalck Levy de Berlin, dans le but d’étudier les sites de la première période de l’histoire juive, qu’il traita dans les volumes un et deux de son histoire, publiés en 1874-76 ; ces volumes achevèrent ce grand travail. Pendant ce temps en Palestine il donna la première impulsion à la fondation d’un orphelinat.
Il prit aussi un grand intérêt aux progrès de l’Alliance Israélite Universelle et participa comme délégué à la convention réunie à Paris en 1878 pour venir en aide aux juifs de Roumanie.
Cible des antisémites :
Le nom de Graetz fut mis en avant dans la controverse antisémite, surtout après que Treitschke eut publié son Ein Wort über Unser Judenthum (1879-1880), dans lequel, faisant allusion au onzième volume de l’histoire, eut accusé Graetz de haine contre le christianisme et de préjugés à l’égard du peuple allemand, voyant en lui une preuve que les juifs ne pouvaient jamais s’assimiler à leur environnement.
Cette attaque contre Graetz eut un grand effet sur le public. Même des amis des juifs, comme Mommsen, et des avocats de Judaïsme à l’intérieur de la communauté condamnèrent hautement les expressions trop passionnées de Graetz.
Ce fut à cause de cette impopularité relative qu’on ne l’invita pas à participer à la commission créée par l’union de congrégations juives allemandes (Deutsch-Israelitischer Gemeindebund) visant à promouvoir l’étude de l’histoire des Juifs d’Allemagne (1885).
Une renommée mondiale :
Malgré tout, sa renommée d’étendit aux pays étrangers ; et les promoteurs de l’Exposition anglo-juive l’invitèrent en 1887 à ouvrir l’Exposition avec une conférence.
Le soixante-dixième anniversaire de sa naissance fut l’occasion pour ses amis et ses disciples de lui témoigner l’estime universelle dans laquelle ils le tenaient ; un volume d’essais scientifiques fut publié en son honneur (Jubelschrift zum 70. Geburtstage des Prof. Dr. H. Graetz, Breslau, 1887). Une année plus tard, il fut nommé membre honoraire de l’Académie espagnole, à laquelle, comme marque de gratitude, il dédia la troisième édition du huitième volume de son histoire.
Un exégète audacieux :
Les études historiques de Graetz, remontant jusqu’aux temps bibliques, le conduisirent tout naturellement à s’occuper d’exégèse. Dès les années 1850 il avait écrit dans le Monatsschrift des essais traitant d’exégèse, comme « Fälschungen in dem Texte der LXX » (1853) et « Die Grosse Versammlung : Keneset Hagedola » (1857) ; et avec sa traduction et ses commentaires de l’Ecclésiaste et du Cantique des Cantiques (Breslau, 1871) il commença la publication de travaux d’exégèse distincts. Un commentaire et une traduction des Psaumes suivirent (ib. 1882-83). Vers la fin de sa vie il planifia une édition de la Bible hébraïque entière avec ses propres corrections textuelles. Un prospectus de ce travail parut en 1891. Peu de temps avant la mort de l’auteur, une partie, Isaïe et Jérémie, fut éditée sous la forme dans laquelle l’auteur avait eu l’intention de le publier ; le reste ne contenait que les notes textuelles, et non le texte lui-même. Il fut édité, sous le titre Emendationes in Plerosque Sacræ Scripturæ Veteris Testamenti Libros par W. Bacher (Breslau, 1892-94).
Ce qui caractérise le plus l’exégèse de Graetz, c’est l’audace de ses corrections textuelles, la prise en compte des versions manuscrites anciennes et du contexte historique. Il osa chercher à fixer certaines dates de compilation de livres bibliques ou de passages particuliers. Son hypothèse sur l’origine de l’Ecclésiaste, située à l’époque d’Hérode le Grand, présentée de façon brillante, était révolutionnaire pour l’époque. Ses corrections textuelles montrent une grande finesse et avec le temps elles ont gagné en respect et en acceptation.