Non par la force, mais par l’esprit (1)…
D’où tu parles ? Je parle comme Juif français, comme israélien (j’ai la double nationalité), mais surtout ici comme rabbin du mouvement Massorti , sensibilité centriste dans le judaïsme. Je dois ajouter que je fus journaliste à la radio nationale israélienne, correspondant de l’Arche et des Nouveaux Cahiers (deux publications importantes du judaïsme français) et donc assez au fait du conflit plus que centenaire qui nous occupe et de ses complexités. J’ai toujours été impliqué dans le dialogue entre les religions et pour moi, le verset du psaume 34 « réclame la paix et poursuis-la » est une injonction cardinale.
La première réaction à cette nouvelle crise, c’est l’inquiétude, la frustration de se retrouver une fois de plus dans une crise qui aurait pu être évitée, après des décennies de pourparlers, de contacts et d’une forme de progrès, malgré toutes les imperfections d’un processus politique complexe ponctué d’explosions de violences. Pour ce faire, il eut fallu maintenir des pourparlers au lieu de laisser pourrir la situation et nous Israéliens portons notre part de responsabilité.
Pogroms et lynchages
Il y a un contexte politique assez complexe qui est saisi comme prétexte par le Hamas pour une attaque hors de toute proportion en tirant des milliers de missiles sur les civils israéliens. L’État d’Israël ne peut que répondre militairement en essayant de faire le moins de victimes civiles possible, mais en frappant suffisamment fort le Hamas pour l’obliger à plier un peu la tête. Une mission impossible. C’est un scénario récurant et désolant qui montre ses limites. Il pourrait aller plus loin et nombreuses sont les voix appelant à reprendre le contrôle de la bande de Gaza et abattre le Hamas. Totalement solidaire d’Israël, je pense à la population de Gaza otage d’une politique immonde d’un mouvement terroriste sans scrupules dont elle est la première victime. Je me souviens d’un shabbat passé à Gaza en 1994, avec une délégation pour la paix de Juifs pratiquants invitée par l’autorité palestinienne tout fraichement mise en place, de l’espoir à cette époque… Espoir vite étouffé par les attentats suicides organisés par le Hamas dans les bus israéliens. Hamas qui depuis a pris le pouvoir à Gaza, persécute, détourne et vit sur la haine. Cercle vicieux de la violence dont nous sommes otages.
L’autre facette de cette crise c’est de voir une partie des Arabes israéliens, citoyens de plein droit, se livrer à de véritables scènes de pogroms, brulant des synagogues et attaquant très brutalement leurs voisins juifs. Ce débordement d’agressivité, relent d’un passé lointain, m’inquiète pour l’avenir de la cohabitation pacifique entre les deux communautés. Les frustrations cumulées expliquent peut-être, mais ne justifient en rien. À cela, des voyous juifs ont répondu en tabassant des passants arabes, véritables scènes de lynchage. Comment des Juifs peuvent-ils faire une chose pareille ? C’est pour moi le plus choquant car je balaie devant ma porte et qu’importe que le camp d’en face se livre depuis des années à des agressions similaires. Le racisme larvé, le mépris à l’égard de l’autre et la méconnaissance permettent ces scènes indignes. À tout cela viennent faire écho les cris haineux des manifestations de par le monde et les tombereaux de haine antijuive sur les réseaux sociaux.
L’incapacité à entendre la partie adverse
Comme rabbin , je crois que la racine du mal est dans l’éducation et notre incapacité à entendre la partie adverse. Chacun, juif, musulman ou chrétien, doit entendre l’autre et ne peut le piétiner sans dommage. C’est vrai pour chacun. La religion, dès lors qu’elle entre dans le champ du politique, devient vite un monstre. Or la religion doit avoir un rôle autrement spirituel et éthique, transcendant le politique et l’inspirant, avec la paix et le respect de l’humain pour seules valeurs cardinales, nos textes le disent et le redisent… Mais nous projetons notre petitesse et nos égos identitaires sur les textes et transformons Dieu en étendard… Paganisme et immoralité !
J’accuse ceux parmi les politiciens et les leaders religieux qui exploitent cyniquement le religieux, jouent avec le feu, se prélassent dans le populisme et flattent les plus bas instincts de partisans primaires facilement manipulables. Des années de discours ineptes mènent à cette profanation de l’esprit et de notre raison d’être. En cela, chacune des sociétés est coupable et devrait faire son examen de conscience.
Quelle douleur d’écrire ces lignes en pensant à ces scènes horribles d’humains féroces et laids dans un lieu qui m’est si cher et au nom d’un Dieu qui ne peut que se détourner de cette laideur et de tant de bêtise. Alors qu’au contraire, le fruit de l’arbre de la connaissance bien et mal doit être ruminé doucement, assimilé en profondeur afin de permettre un jour d’entrevoir l’arbre de vie… On en est loin, hélas, hélas, hélas ! Nous Juifs comme musulmans, avons Abel (2) comme ancêtre, et non Caïn. Abraham ne peut que pleurer sur ses enfants.
(1) Zacharie 4.6
(2) À travers la descendance de Shet conçu pour remplacer Abel…
Article publié dans le journal protestant Réforme. https://www.reforme.net/opinions/2021/05/17/israel-palestine-un-rabbin-francais-appelle-a-un-examen-de-conscience/
Messages
Bonjour,
Je dois avouer être choqué par vos propos. Je ne vois dans l’offensive israélienne qu’un mouvement politique. Le religieux n’a vraiment rien à voir la dedans (en tout cas du côté israélien) !
Aussi, je déplore comme tous les victimes palestiniennes et israélienne, je pense que les manifestations pour résoudre le conflit (si conflit il y a...) ont lieu d’être. Malheureusement, c’est souvent les minorités extrémistes qui gèrent les manifestations à leur goût.
Même si je suis d’accord avec le fond de vos propos, qu’il est important de laisser une place à l’autre... Je ne crois pas que cela soit là le sujet.
Merci pour ce beau texte.
Merci rav Yeshaya pour ce beau texte de douleur et d’exigence.
Je partage votre inquiétude sur un phénomène relativement inattendu (dans ses proportions) dans le contexte actuel d’Israel : l’attitude violente de nombreux Arabes israéliens s’en prenant à leurs voisins juifs. Ce front de l’intérieur est particulièrement dangereux, une brisure additionnelle, ou plus forte, se fait jour.
Merci pour ce texte engagé, nuancé et clair qui prend en compte la
complexité de la situation. Ce qui permet de sortir des positions binaires et clivantes.
Un très beau texte, dont je partage la douleur et les analyses. Mais que faire, mon Dieu, de cet antijudaïsme féroce et désespérant qui déborde de partout et qui s’exprime dans la haine et les pogroms remis à neuf ?
Difficile de ne pas partager les grandes lignes de ce texte.
Nous préférons cependant une lecture différente, quoique plus âpre : d’après la Torah, nous sommes précisément les descendants de Seth (שת), et non d’Abel. Et ce que nous enseigne, durement peut-être, cette généalogie, c’est que la descendance de l’humanité n’est possible que si l’homme s’extrait de sa condition de meurtrier (Caïn) mais aussi de victime (Abel).
Puissions nous méditer cet enseignement et agir en véritables descendants de Seth, pour l’avenir de l’humanité.
Merci pour ce texte plein de sagesse et cette analyse qui s’intéresse plus aux causes qu’aux effets.