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« Dans les pas d’Hannah Arendt » de Laure Adler, Gallimard, 2005

« Dans les pas d’Hannah Arendt » de Laure Adler, Gallimard, 2005

Pour qui veut s’initier à un moment de notre histoire particulièrement important et pour mieux appréhender le présent dont il découle, le livre de Laure Adler « Dans les pas d’Hannah Arendt » est une bonne introduction.

Cet ouvrage amène le lecteur à découvrir non seulement une personnalité hors du commun qui a profondément marqué son siècle mais également à saisir les enjeux, les fondements d’une pensée philosophique et politique complexe sur le monde dont elle est contemporaine.

On suit ainsi « pas à pas » son itinéraire à la fois personnel et philosophique, deux aspects étroitement liés pour cette femme qui n’a eu de cesse d’essayer de comprendre son siècle et de s’engager entièrement dans toutes les batailles qu’elle pensait justes, hors des écoles et des pensées académiques. Dans cet ouvrage on voit bien comment Hannah Arendt a inventé une autre façon d’aborder les concepts en les retravaillant pour qu’ils puissent être en mesure de nous révéler comment la réalité du XX° siècle, réalité du mal et de l’horreur, a pu se fabriquer. Face à la mollesse de la pensée ambiante actuelle toute préoccupée de consensus, en perte de repères et souvent amnésique, c’est une leçon de liberté et de courage dont nous avons bien besoin pour aborder le XXI° siècle et ne pas se laisser engloutir dans l’enchevêtrement des apparences.

Née en 1906 en Allemagne, Hannah Arendt grandit à Königsberg (Kaliningrad aujourd’hui) Ses parents sont socialistes et libéraux. On la voit évoluer sous l’œil attentif d’une mère, veuve depuis que Hannah Arendt a 7 ans, et férue d’éducation nouvelle qui inscrit scrupuleusement sur un journal la moindre évolution de sa fille jusqu’à l’âge de 12 ans.
Hannah Arendt fait ensuite des études brillantes de philosophie à Marbourg, puis à Fribourg et rencontre tout ceux qui participeront à renouveler la pensée philosophique dans ce creuset que constitue l’Allemagne dans les années 20. Nourrie de Kant et de Kierkegaard, la philosophie rompt avec la construction idéaliste du monde pour essayer de fonder dans l’existence même la base d’une praxis. Elle rencontre notamment Karl Jaspers, Edmond Husserl, Gershom Scholem, Walter Benjamin, et surtout Heidegger. Cette rencontre en 1924 marquera profondément Hannah Arendt qui entretiendra avec Heidegger une longue relation amoureuse et philosophique marquée par des épisodes houleux dus notamment à l’engagement d’Heidegger dans le parti nazi en 1933. L’ouvrage s’étend longuement sur cette relation complexe sans d’ailleurs en percer vraiment le mystère, il reste là une énigme qui ne lassera peut-être jamais de nous interroger de la part d’une femme qui ne connaissait pas le compromis.

A la fin de ses études, elle épouse Günther Stern avec lequel elle partage la passion de la philosophie. Ils vont vivre à Berlin et s’engagent tous les deux auprès des socialistes sans que jamais Hannah Arendt ne devienne membre d‘aucun parti.

Hannah Arendt s’est sentie très jeune interrogée par son identité juive. Elle a été élevée dans une grande complicité avec son grand-père, Max Arendt, connu pour sa combativité à promouvoir l’intégration des juifs dans l’Etat allemand. A la différence des intellectuels juifs allemands majoritairement assimilationnistes comme Karl Jaspers, Max Weber et Husserl qui revendiquent avant tout leur identité allemande, elle revendiquera fortement son appartenance au judaïsme. Ce questionnement identitaire qui l’habite trouvera avec son travail de recherche sur Rahel Vernahagen un exutoire lui permettant de démêler l’intrication de sa propre identité de juive et d’allemande.

Elle a fait partie de ces intellectuels juifs qui ont réagi très vite à la montée de l’antisémitisme et du mouvement nazi en Allemagne, et qui prendront très au sérieux dès 1926 la publication de « Mein Kampf ». Elle se met très tôt en contact avec les mouvements sionistes à Berlin par l’intermédiaire d’un ami de sa famille Kurt Blumenfeld, chef de file du nouveau mouvement sioniste. En 1930 elle milite dans cette organisation qui revendique le sionisme comme idéal personnel, comme auto-affirmation de son identité et complétude de soi. Gershom Sholem, Franz Kafka, Manès Sperber partageront cet idéal. Kurt Blumenfeld émigrera en Palestine avec Gershom Scholem. Hannah Arendt deviendra néanmoins toujours de plus en plus critique envers les sionistes pour leur absence de reconnaissance des arabes dans leur politique. Militant pour un Etat binational, elle s’opposera au principe d’un Etat-nation juif.
En 1933, elle quitte clandestinement l’Allemagne après s’être faite arrêtée et part se réfugier à Paris. Le Congrès juif mondial ne prend pas non plus la mesure de la montée de l’antisémitisme malgré les alertes qu’il reçoit. Hannah Arendt continue de militer dans les cercles sionistes mais ce n’est plus « à la recherche du contenu spirituel d’un judaïsme réinterprété à l’aune de leurs rêves d’une nouvelle société » (Laure Adler « Dans les pas de Hannah Arendt », P142), mais une nécessité face à l’afflux des réfugiés qu’elle aide à fuir en Palestine.

Elle réussit, non sans mal, à traverser la guerre avec son nouveau compagnon et mari, Heinrich Blücher, à Paris, puis aux Etats-Unis où elle s’installe jusqu’à la fin de sa vie.

Pendant toute cette période troublée son œuvre est en gestation. D’articles en articles, elle se lance en 1946 dans la rédaction des « Origines du totalitarisme », œuvre majeure pour qui veut comprendre les mécanismes de la terreur qui a régné au XX° siècle. Hannah Arendt fait une étude comparée du stalinisme et du nazisme qui éclaire leur idéologie commune « Derrière l’antisémitisme, la question juive ; derrière le déclin de l’Etat-nation, le problème non résolu de la nouvelle organisation des peuples ; derrière le racisme, le problème non résolu d’un nouveau concept d’humanité… » Hannah Arendt citée par Laure Adler, op.cit., page 264.

Ses propos sonnent particulièrement juste encore aujourd’hui où les frontières se sont dissoutes, où le nationalisme opère un retour en force et où, sur les ruines fumantes du XX° siècle, nous sommes toujours à la recherche d’un nouveau concept d’humanité.

Laure Adler nous accompagne ainsi pendant les quelque 600 pages de son livre en pointant sans cesse la soif d’Hannah Arendt de chercher à comprendre et à approcher au plus près la genèse du mal au cœur des sociétés des hommes, quitte à provoquer l’incompréhension, en affirmant, notamment au procès d’Eichmann, que la shoah n’est pas une catastrophe exceptionnelle, ni Eichmann un criminel hors du commun mais qu’ils s’inscrivent dans la banalité du mal.

Enfin, même si ce livre est une excellente introduction aux problématiques soulevées par Hannah Arendt, son manque de rigueur parfois et son parti pris hagiographique font souvent obstacle à l’intelligence de la philosophe. Suivre sa chronologie pas à pas ne permet pas nécessairement de suivre sa pensée, même si cette approche originale en facilite l’accès. Ce livre doit être avant tout une invitation à lire l’œuvre d’Hannah Arendt qui sait se mettre à la portée de tous ses lecteurs, lecture qui offre des fulgurances dont nous avons bien besoin pour avancer dans les dédales d’un monde qui se complexifie de jour en jour et pour arriver à reconstruire un sens commun, fondement d’un nouvel être au monde.

Chantal Dahan-Weidenfeld

Quelques oeuvres de Hannah Arendt :

Condition de l’homme moderne, éd. Calmann-Lévy, 1961, rééd. Presses Pocket, 1983 avec une introduction de Paul Ricoeur

Rahel Varnhagen : la vie d’une juive allemande à l’époque du romantisme, éd. Tierce, Col. Littérales 2, 1986, Rééd. Presses Pocket, 1994.

La tradition cachée, le Juif comme paria, éd. Bourgois, 1987, rééd. Coll. Choix essais, 1993

Les origines du totalitarisme- Eichmann à Jérusalem, éd.Gallimard, coll. Quarto, 2002

Quelques ouvrages sur Hannah Arendt :

La pensée politique de Hannah Arendt, André Enegren, ed. PUF, 1984

Hannah Arendt, Wolfgang Heuer, ed. J. Cambon, 1993

Hannah Arendt, l’obligée du monde, Jean-Claude Eslin, ed. Michalon, 1996

Hannah Arendt, La passion de comprendre, Martine Leibovici, éd. Desclée de Brouwer, 2000

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