Notre réponse
Le sujet est vaste et la réponse forcément un peu rapide et partiale (il faudrait interroger également un rabbin libéral qui défendrait peut-être un autre point de vue), de plus il existe des variantes entre rabbins et entre communautés, cela aussi bien chez les libéraux, les massorti que les orthodoxes . Attention donc aux clichés.
Les différents mouvements libéraux (il y en a plusieurs qui ne sont pas tous d’accord entre eux) et le mouvement Massorti (qui comporte lui-même une certaine pluralité interne) entretiennent des rapports chaleureux et cordiaux, les rabbins en général se connaissent et se respectent, il leur arrive de collaborer sur certains projets précis (publication d’ouvrages pédagogiques, mise en place d’une école juive moderniste...).
Ils ont en effet certains points communs (souci de modernité, ouverture d’esprit, volonté d’aller de l’avant, accueil de tous...). Ils font tous partie de ce que l’on peut appeler aujourd’hui la branche « moderniste » du judaïsme.
Ils sont cependant très différents sur le fond. En effet, par certains aspects, le mouvement Massorti est beaucoup plus proche de l’orthodoxie que des libéraux. En fait, il se trouve à mi-chemin entre les deux.
Voici en quelques mots sur quoi reposent les différences :
Leur histoire est différente :
Les mouvements libéraux sont issus de la réforme allemande, celle-ci fut extrême dans ses positions durant le XIXe siècle. Le mouvement Massorti s’est formé en opposition à cette réforme, c’est pourquoi il s’appelle également « conservateur » en réaction à la « réforme ». Dans le courant du XXe siècle, les mouvements libéraux sont revenus à une vision plus traditionnelle du judaïsme, ce qui les a rapprochés du mouvement Massorti , mais de nombreuses différences subsistent.
Leur idéologie est différente :
Les mouvements libéraux, tout en continuant à s’y intéresser (certains rabbins libéraux ont écrit des ouvrages passionnant sur la question de la Halakha ), ont délaissé la Halakha (la loi juive) comme règle de droit obligatoire. Le mouvement Massorti se considère officiellement totalement soumis à la Halakha (même si dans les faits on observe une certaine souplesse). Si nous voulons instaurer du changement (place de la femme par exemple) nous devons le faire en le justifiant halakhiquement. Un rabbin libéral ne se souciera pas forcément d’une telle démarche et justifiera sa décision en se basant beaucoup plus sur des considérations sociologiques et morales que purement légales.
Leurs Rabbins respectifs sont différents :
La formation des rabbins est quelque peu différente et ne se fait pas dans les mêmes séminaires. Dans le cursus de formation rabbinique massorti , une plus grande insistance est faite sur l’étude de la Halakha et du Talmud et sur le souci de s’inscrire autant que possible en continuité plutôt qu’en rupture avec cet héritage. En notant toutefois que chez bon nombre de libéraux des nouvelles générations, on connaît un regain d’intérêt pour ces questions et leur étude. Cependant, on ne saurait faire de généralité absolue et chaque rabbin a son propre parcours.
Leur pratique est différente :
Les différences de conception sur la Halakha impliquent des différences dans la pratique. Un libéral a, à priori, moins de réticence au changement (mais là aussi la nuance est de mise, sur la question de l’égalitarisme l’ULIF est plus conservatrice que les synagogues massorti de France).
Un rabbin ou une synagogue Massorti se veut halakhiquement respectueux du shabbat ; le libéralisme tend à considérer que pour une bonne raison on peut assouplir ou moderniser le respect du shabbat (voyager pour visiter une communauté, allumer les bougies du shabbat une fois la nuit tombée quand l’Office de la synagogue commence tard, utilisation éventuelle de moyens de transport… autant de choses impensables pour un rabbin Massorti , avec une nuance toutefois sur les moyens de transport chez certains rabbins américains). Cela parce que leur conception du shabbat et de l’importance de la soumission à la règle sont différentes.
Un rabbin ou une synagogue Massorti se veut respectueux de la cashrout. Le libéralisme qui longtemps a remis en cause le bien fondé des règles de la cashrout est généralement plus laxiste sur ces questions.
Le rituel libéral a été plus largement modifié ; le rituel Massorti reflète le rituel traditionnel et ne se permet que de changer de très légers points qui lui semblent essentiels. Le rituel libéral fait en général une plus large place à la langue vernaculaire ; le rituel Massorti se fait en hébreu essentiellement (dans ma synagogue par exemple, tout est dit en hébreu). Là encore de nombreuses variantes existent d’une communauté à l’autre. En France, le rituel est souvent globalement le même dans tous les courants.
Le mouvement libéral a longtemps abandonné certaines pratiques considérées comme obsolètes ou non-conformes à l’esprit du temps (la pose des Tefilines , les règles de Nida , la cashrout… par exemple) ; le mouvement Massorti n’a jamais abandonné ces pratiques du judaïsme, en tout cas officiellement.
Leur conversions sont différentes :
Le mouvement libéral accepte souvent (pas toutes les communautés) de considérer comme juif l’enfant d’un mariage mixte, dont la mère n’est pas juive, mais qui aurait reçu une éducation juive. Le mouvement Massorti exige dans ce cas un rituel de conversion (il fait les plus grandes facilités aux enfants dans ce cas).
Le mouvement Massorti met un point d’honneur à ce que les conversions au judaïsme soient pratiquées conformément à la Halakha , notamment en ce qui concerne la cashrout du bain rituel (Mikvé ) quitte à aller très loin pour en trouver un qui convienne. Ce n’est pas toujours le cas de certaines conversions libérales pratiquées parfois dans un Mikvé non-conforme. Le mouvement Massorti se voit donc parfois contraint de ne pas reconnaitre certaines conversions libérales. Il exigera parfois que l’on refasse la cérémonie.
Bien évidemment tous ces points échappent au grand public non averti qui vient de temps en temps à la synagogue. Mais ce sont des points de doctrine essentiels.
Et pourtant le respect existe…
Ces différences entre nous n’empêchent nullement respect et dialogue. Chacun connaît les différences de l’autre et respecte le travail fait par l’autre. Les points qui nous rapprochent sont certainement plus nombreux que ceux qui nous séparent. Ces deux grands courants du judaïsme ont chacun très fortement contribué à l’histoire juive. Une grande partie du public ne rentrera pas dans toutes ces nuances et fréquentera indifféremment l’une ou l’autre synagogue. Une partie du public ayant conscience de ces différences choisira en pleine connaissance de cause l’un ou l’autre courant sachant qu’aucune confusion n’est possible.
Yeshaya Dalsace
Webmaster et rabbin de Maayane Or à Nice
Pour plus d’informations, le site du MJLF (Mouvement Juif Libéral)
Celui du rabbin libérale Pauline Bebe
Messages
Pourquoi la conclusion de cet article "Massorti et Libéraux" ne se conclut elle pas par un rappel de la nécessité absolue du judaïsme de lutte contre "la pensée unique" ?
L’existence des différents courants est le fruit de l’histoire, certes et... de la Providence. Non ?
Le fait qu’il y est différents courants ne permet t’il pas à chacun de faire selon les vibrations de son coeur ?
la destruction des twin towers et l’existence du racisme c’est aussi de la providence et on la combat !
vraiement bidon comme raisonnement. le libre arbitre existe le mal aussi. le vrai aussi le faux aussi.
l’humanite est a la recherche d une verite pas d’un bien etre...nuance.
la question est de savoir si la verite est plurielle. et c’est encore a debattre...
enfin...
merci beaucoup de cet article si tolérant et si clair qui clarifie aussi pour moi ces nuances importantes.
Il me semble que la volonté de dialogue avec la tradition orthodoxe est fondamentale pour assurer une réelle évolution du judaïsme sur les questions fondamentales de la place des femmes et de la créativité.
J’ai eu l’honneur d’assister à la naissance de la première synagogue massorti de Paris vers les années 1987. La seule différence avec les libéraux, c’était qu’en hiver les bougies de shabbat étaient allumées avant l’office,et que c’étaient les plus riches des juifs qui y avaient le pouvoir.