Suite à la proposition d’Eva Joly, candidate EELV à l’élection présidentielle d’instaurer un jour férié pour la fête musulmane de l’Aïd-el-Kebir et un autre pour la fête juive du Kippour, Laipar a interviewé le Rabbin Yeshaya Dalsace afin d’avoir son avis sur le sujet.
Suite à la proposition d’Eva Joly, je souhaiterais savoir quel est votre point de vue à ce sujet, en tant que représentant religieux de la communauté juive.
Pour ne rien vous cacher, je trouve cela bizarre. Ça m’a l’air d’être une annonce politique qui n’aura aucune portée. Pour moi ce sont des « trucs » de campagne électorale.
Il y avait déjà eu une proposition dans ce sens, il y a quelques années, il y a 3-4 ans je pense.
Vous dites que ça n’est qu’électoral, il n’empêche que ça a suscité des réactions, et finalement, des membres des diverses communautés se sont mis à parler de ce sujet.
Moi, je pense que dans le cadre de la campagne électorale, ce n’est pas un sujet central. Maintenant, que ça suscite un débat sur le fond, oui, pourquoi pas.
Mon opinion sur le fond de la chose est la suivante. Tout d’abord, autant que je le sache sur un plan historique, un juif en France n’a jamais eu de problème pour avoir son Kippour.
Deuxièmement, je voudrais rappeler que le judaïsme est la plus vieille religion de France, avant le catholicisme. Il y avait des juifs avant l’invention du christianisme en France. Là-dessus, les juifs n’ont pas à avoir de complexes. Nous faisons partie du paysage, même si nous ne sommes pas très nombreux.
Maintenant, ce n’est pas parce qu’une minorité célèbre une fête, qu’il faut que ce jour soit férié pour tout le monde. Je trouve cela ridicule. Je ne vois donc pas pourquoi Kippour serait un jour férié.
Ce dont on doit s’inquiéter en France, mais je pense que ça s’inscrit dans un autre débat de fond complexe sur lequel il faudrait vraiment réfléchir en profondeur, est le problème de la visibilité ou non des minorités religieuses ou autres et en l’occurrence les véritables minorités religieuses que sont les juifs et les musulmans. Mais après tout il y a les bouddhistes aussi et d’autres encore.
La question de leur visibilité et de leur intégration ne se réglera pas par des histoires de jours fériés.
Il paraît évident que dans notre système actuel chacun peut avoir son jour de congé comme il le souhaite, en posant un RTT notamment. Par contre on pourrait améliorer l’information. Par exemple certains services devraient être au courant de certaines dates pour ne pas fixer des réunions importantes les jours de fêtes religieuses notamment.
Je pense aujourd’hui on doit tenir compte de ces choses-là, notamment pour les examens en fac. Ça se fait déjà, il y a des directives qui sont prises au sein des différents services mais tout ceci est une question de gestion et de bonne volonté.
En revanche, je me porte en faux sur le fait de dire que la France est un pays catholique. La France est évidemment un pays de culture catholique, mais c’est un pays qui a aussi des minorités autres qui ont leur légitimité, et il faut en tenir compte.
On ne peut pas dire que la France qui compte aujourd’hui entre 5 à 8 millions de musulmans et un pays catholique. Ça n’a pas de sens, ce n’est pas la réalité.
C’est pourtant ce qu’a répondu le ministre Laurent Wauquiez à la proposition d’Eva Joly. Il a dit que la France est un pays chrétien.
Je ne suis pas d’accord avec la position du ministre. Je pense que c’est un débat qui est complexe car derrière ces histoires de date, ce sont des questions d’identité qui se posent en réalité.
Dans le fond, les véritables catholiques en France sont peu nombreux. Il y a peut-être plus de musulmans pratiquants que de catholiques pratiquants.
Il faut arrêter de se voiler la face, sur le plan de la pratique religieuse, il y a d’autres traditions que celle catholique, c’est comme ça.
Selon vous, il y a eu des réactions car les Français ont eu le sentiment que l’on attaquait l’identité française ?
Je pense que la France a du mal à gérer ce problème, je pense qu’elle a du mal à gérer son identité de ce point de vue-là.
Sur le plan historique, la France est ambiguë car c’est un pays, je répète ce que j’ai dit tout à l’heure, où les juifs étaient présents avant l’invention du christianisme.
Il y a même eu un roi de Judée qui a été exilé près de Lyon par les Romains. Il y a donc une présence juive très ancienne, et le judaïsme peut se revendiquer comme étant finalement la plus vieille religion française.
Mais en même temps, la France, c’est tout à fait vrai historiquement, s’est construite sur le catholicisme, sur une religion d’État. Elle s’est construite sur un système féodal centralisé ainsi que sur l’élimination de tous ceux qui n’étaient pas catholiques. Il y a eu l’expulsion des juifs de France au XIIIe siècle. Ce n’est pas rien, il y avait des juifs présents dans toutes les villes de France.
Ensuite, la France a combattu les protestants très durement.
La France s’est construite sur cette idée de « hors du catholicisme, point de salut pour la France et pour le roi. »
Toutefois, ceci n’est plus vrai depuis la révolution française.
En fait, on peut dire que la France n’a jamais vraiment tourné la page de ce passé catholique unilatéral.
Quand vous voyez ce qui s’est passé à la fin du XIXe siècle, quand on a commencé à construire des synagogues un peu monumentales dans toutes les grandes villes de France, elles ont toutes systématiquement été mises dans des petites ruelles, y compris à Paris.
Vous avez à Paris, deux très grandes synagogues situées dans des rue secondaires, rue de la victoire et rue des Tournelles. La raison c’est que le gouvernement français ne voulait pas qu’elles soient visibles. Donc on a le droit d’être là mais il ne faut pas être visible.
Ceci montre de la part de la France, une incapacité à accepter une minorité qui pourtant est présente depuis des centaines d’années.
Maintenant, pour les musulmans qui sont là depuis quelques décennies, il y a ce même problème avec toutes ses décisions sur les constructions de mosquées.
Derrière tout ceci, je pense qu’il y a un vrai débat à avoir sur ce qu’est la France, sur la liberté religieuse et sur ce qu’est la laïcité en France.
D’un côté les pratiquants doivent accepter la laïcité, ils doivent accepter de ne pas porter de signes distinctifs trop marqués, on exige beaucoup d’eux. C’est tout à fait normal, je suis très ferme là-dessus, je pense qu’on doit avoir un modus vivendi pour pouvoir vivre ensemble.
Mais d’un autre côté, il faut accepter qu’il y ait des gens qui ont des pratiques, qui respectent un calendrier, qui célèbrent des fêtes. Je ne vois pas où est le problème car c’est une richesse pour la France.
Y a-t-il au sein de la communauté juive, une volonté d’instaurer des jours fériés juifs et de les inscrire dans le calendrier français ?
Non, je n’ai jamais entendu de telles demandes. Je pense qu’à ce niveau-là, les juifs, ont toujours joué le jeu de la république française. Ils n’ont jamais eu de problème, ils ont toujours joué le jeu de la laïcité et n’ont jamais revendiqué quoique ce soit à ce niveau-là.
Au-delà de certaines commodités personnelles, je ne vois absolument pas l’intérêt d’un jour férié juif qui concerne finalement une minorité en France. Je ne vois vraiment pas pourquoi toute la France devrait se mettre au calendrier juif, ça n’a pas de sens.
Par contre, ce que je trouverais embêtant c’est que des juifs ne puissent pas pratiquer Kippour. Ce que je trouverais embêtant c’est qu’un juif soit menacé de perdre son emploi parce qu’il doit respecter Kippour mais ce n’est pas le cas, il n’y a jamais eu de problèmes à ce niveau-là.
Ne trouvez-vous pas ça anormal que des questions aussi sensibles soient mises sur la place publique pour des raisons uniquement électorales ?
Cela me gêne car je pense que ce n’est pas la période pour parler de cela. Les élections ne vont pas se faire sur de telles problématiques. Nous sommes en période de crise, nous sommes dans une période où il y a des décisions à prendre sur la gestion de l’Europe. Voilà les questions importantes pour la France. Il faut être sérieux.
Soyons raisonnables, on ne va pas réussir à faire bouger les choses en rajoutant des jours fériés à une période où on aurait plutôt besoin d’en supprimer pour des raisons économiques.
C’est selon moi une proposition purement électoraliste et je ne sais même pas vers qui elle se tourne car ce ne sont pas les juifs pieux qui vont se mettre à voter pour Eva Joly.
Je pense qu’elle a lancé ce débat pour agacer la société.
Interview publiée le 16 janvier 2012 sur http://www.laipar.com/Un-jour-ferie...
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Très bien. Bravo.