La première est de la yéchiva massorti de la rue Agron. Un endroit particulier, cette yéchiva qui n’est certainement pas typique des yéchivot de Jérusalem : d’abord, elle est américaine, ensuite, elle est massorti ..
Les Iérosolomitains à qui on dit qu’on suit, en tant que femme, un cours de yéchiva, se montrent amusés voire incrédules. Tout le monde sait bien sûr qu’il y a des femmes qui étudient. Mais le concept de yéchiva semble rester lié au monde orthodoxe .
La Yéchiva conservative de Jérusalem, qui existe depuis une dizaine d’années, se donne pour but de proposer une éducation traditionnelle aux Juifs qui le souhaitent, d’augmenter le niveau de connaissance parmi les fidèles de base.
En cours d’été ou cours annuel, la yechiva propose aux participants un enseignement juif – talmud , midrach , oulpan d’hébreu - dispensé un cadre très généreux, très accueillant et très égalitaire.
Ce caractère égalitaire est très visible : au chaharit quotidien, la quasi-totalité des femmes – Américaines pour la plupart, jeunes ou moins jeunes - portent, très naturellement, talit , kippa et tefilin . Et surtout, ces femmes assument, avec beaucoup d’assurance, les mêmes fonctions que les hommes dans les deux offices quotidiens, qui sont intégralement gérés par les étudiants et dont les rabbins de la yéchiva ne s’occupent pas.
Des cours qui se densifient au fur et à mesure qu’on se coule dans le rythme de l’étude à temps plein –la journée va du chahahit (7h30) à 17h30 pratiquement non-stop, avec pour seule interruption l’office de minha . La pause déjeuner existe en théorie, mais elle se fait à l’américaine ou à l’israélienne : on mange sur le pouce tout en écoutant un intervenant invité. J’ai découvert les joies de la hevrouta, que j’avais déjà pratiqué ponctuellement, cette fois-ci dans la durée. La hevrouta, ce n’est pas seulement une étude à deux sur un texte, c’est aussi une relation qu’on construit dans l’étude, dans l’échange personnel et spirituel avec un(e) partenaire, une relation qui devient rapidement très intense, au fil des textes et de ce qu’on révèle de soi en les commentant.
Un seul point négatif : la fin du cours. Après ces journées complètes et intenses de réflexion, d’apprentissage et d’échange, comment retourner à la vie normale, et au triste sort de touriste/visiteur, qui peut se lever à l’heure qu’il veut ?
La deuxième diapo est moins sereine : c’est la pauvreté de Jérusalem que j’ai pu voir de près, dans le cadre d’un projet de gemilout hassadim organisé par la yéchiva. Hazon Yeshaya : les lecteurs de Mikhtav se souviendront d’un article où Claude Machline présentait Abraham Israël, homme d’affaires à succès mais à enfance pauvre, qui s’efforce de faire quelque chose pour les exclus, comme on l’a fait pour lui lorsque sa famille a quitté l’Egypte pour la France où elle a survécu grâce à la soupe populaire, pendant plusieurs années.
J’ai eu l’occasion de passer un peu de temps dans l’une des soupes populaires de Hazon Yeshaya de Jérusalem. Le projet est de donner de l’aide matérielle – de la nourriture, des vêtements, des soins médicaux, dans des conditions permettant de restaurer la dignité des personnes en difficulté. Il faudrait plutôt parler de pauvres, d’une pauvreté comme nous n’en voyons heureusement pas ou peu en France. Les personnes qui viennent déjeuner à la soupe populaire de Hazon ont visiblement faim, très faim : Enfants aux visages chiffonnés par la malnutrition , vieillards habillés en loques. Parmi eux, des survivants de la Shoah.
Les personnes qui arrivent s’installent dans un réfectoire simple mais propre. Elles n’ont pas à faire la queue, des serveurs (bénévoles) les accueillent, leur apportent leur plateau, nettoient les tables, un peu comme on le ferait pour des clients.
Un vestiaire fonctionne sur le même mode : il ressemble à une boutique, où un bénévole conseille, aide à choisir des vêtements que les intéressés peuvent essayer dans une cabine.
Des dentistes et prothésistes - bénévoles bien sûr - assurent des soins dentaires, et plusieurs ateliers de formation professionnelle forment les personnes en âge de travailler à des métiers offrant des débouchés : coiffure, cuisine.
Des cérémonies de bar / bat mitsva sont également prises en charge, financièrement et humainement, lorsque la famille est pauvre ou inexistante.
Hazon Yeshaya est géré à 95 % par des bénévoles. Si vous souhaitez vivre une expérience hors du commun, et si vous pensez que lorsque nous nous rendons en Israël, nous pouvons donner un peu de notre temps, la prochaine fois que vous y serez, passez-leur un coup de fil pour proposer votre aide, même si ce n’est qu’une demi-journée. Si vous ne parlez pas l’hébreu, pas de problème, on vous donnera un couteau économe, une paire de gants et vous éplucherez des patates. Mais je vous garantis que vous ne le regretterez pas.
Et si vous pouvez donner un peu d’argent, sachez qu’il sera très bien employé. Le prix de revient d’un repas servi par Hazon Yeshaya est de deux euros environ, c’est relativement élevé, mais l’organisme souhaite servir des repas de qualité, chauds, cachers, faits avec des ingrédients frais, des légumes, de la viande, des fruits.
Un DVD est à votre disposition au secrétariat.
La troisième image représente un fragment, un effet zoom sur ce qu’Israël vient de vivre cet été. Je vous y présente une famille iérosolomitaine que j’ai rencontrée cet été, et avec qui on est devenus amis avec une évidence étonnante, allant de soi. Des juifs russes pratiquants qui avaient quitté l’Union soviétique du temps du communisme, après avoir vécu le judaïsme en maranes.
Voici l’histoire qu’ils m’ont raconté : au moment où ils quittaient la Russie, leur parents, qui à l’époque pensaient comme tout le monde que le communisme allait perdurer à tout jamais et qu’ils ne verraient donc plus jamais leurs enfants ni leurs petits enfants, essayaient de les retenir, en avançant des arguments dissuasifs : « vous rendez-vous compte que le pays où vous allez est en permanence en guerre ? Vous, qui avez deux fils ? »
« Mais voyons », ont répondu mes amis à leurs parents, « avant que nos fils (qui avaient à l’époque un et trois ans) n’aient l’âge d’aller à l’armée, Israël vivra depuis longtemps en paix ! »
Au moment où ils me racontaient cette histoire, leurs deux fils étaient au Liban. Pendant des semaines, à chaque sonnerie de téléphone, chaque fois que quelqu’un frappait chez eux, Julia et Michael tremblaient de peur de voir un officier de l’Armée venant leur annoncer une terrible nouvelle. Heureusement, il ne leur est rien arrivé.
« Il est probable que les enfants de nos enfants se retrouvent à leur tour dans cette même situation », m’ont dit Julia et Michael. « Malgré cela, nous croyons avoir fait le bon choix ».
Pendant ce temps, double ironie, l’Europe vivait le drame de vacances gâchées par la pluie.
La quatrième carte postale, par laquelle je vais terminer, c’est simplement de partager avec vous cette joie de passer un mois entier à Jérusalem.
Entendre parler hébreu toute la journée autour de nous, acheter tout cacher, partout, tout le temps, jusqu’à l’éponge scotch brit, regarder les grenades dans les jardinets devenir chaque jour un peu plus rouges à l’approche de Roch haChana, saluer le marchand de pastèques, incarnation de Tsuriel, vendeur de pastèques yéménite caractériel, personnage central de l’oeuvre d’Ephraim Kishon.
Croiser les hommes qui à 6h45 sortent déjà de leur synagogue de quartier, vous donnant l’impression que vous venez de faire une grasse matinée.
Enfin, traverser la ville au petit matin, quand elle est baignée de cette lumière unique dont on boirait.
En cherchant une idée pour terminer ce petit diaporama, j’ai ouvert, presque en pilote automatique, le recueil de poèmes Chiréi Yerouchalaim de Yehuda Amihai. Et, toujours en pilote automatique, la page qui s’est ouverte devant moi m’a offert ce poème dont voici deux fragments :
Ierouchalaïm makom chehakol zokhrim chechakhehou bo machehou
Aval hem einam zokhrim ma chakhehou
Jérusalem est un endroit où chacun se souvient qu’il a oublié quelque chose
Mais il ne se souvient pas de ce que c’était
Et, un peu plus loin :
Zohi iri cheba mitmal’im klei halomotai
Kemo mekhalei hamtsan chel tsolelim litslol.
C’est une ville où mon réservoir à rêves se remplit comme la bouteille d’oxygène d’un plongeur.
Je ne saurais trouver de plus belle métaphore.
Héléna Fantl
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