Mais son histoire du peuple juif est avant tout l’œuvre d’un écrivain. Des personnages hauts en couleur, parfois excentriques comme Sabbetai Zevi, ou inspirés comme Rachi , se croisent et se répondent à travers les siècles, depuis le califat de Cordoue jusqu’à la Russie des tsars. Au récit de la vie de ces hommes et de leurs communautés, Chaïm Potok mêle ses réflexions sur l’histoire, la foi, la fidélité à Dieu, le martyre, dans un style aux accents parfois prophétiques.
Rabbin , aumônier des armées américaines pendant la guerre de Corée, Chaïm Potok est aussi l’écrivain de nombreux best-sellers, de renommée internationale. Il est l’auteur notamment de « L’élu ».
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Extraits de la préface
Je suis américain et juif. Au début de ce siècle mon père arriva de Pologne en Amérique. Il avait servi dans une unité polonaise de l’armée autrichienne pendant la Première Guerre mondiale et était revenu chez lui pour y trouver une étrange récompense : un pogrom.
Sa traversée de l’Atlantique n’entraîna aucun bouleversement personnel. Il ne saisit jamais la différence essentielle entre les chrétiens qui vivaient en Amérique et les chrétiens d’Europe. Bien qu’il ne portât pas la barbe et qu’il fût habillé en homme du xxe siècle, c’était un juif très pieux. L’image que lui renvoyait le regard de la plupart des chrétiens américains était celle d’un Caliban juif.
Il évoquait souvent l’étrange destin de notre peuple, un destin choisi par le Dieu unique qui avait créé l’homme à Sa propre image, faisant ainsi de chacun de nous un être unique et infiniment précieux. Pour quelque mystérieuse raison, il se trouve que le monde créé par Dieu n’est pas parfait. Le labeur des hommes doit donc aider l’Éternel à le parfaire.
Mon père avait souvent recours à un vocabulaire militaire : les juifs étaient l’avant-garde de l’humanité, les troupes de reconnaissance, et en conséquence celles qui risquaient de subir les plus lourdes pertes. Mais nous parviendrions un jour à établir sur la Terre le Royaume des Cieux. De cela, il n’avait pas le moindre doute. Contrairement à l’historien anglais G.M. Trevelyan, qui considérait que l’histoire n’avait ni début ni fin, mon père voyait l’histoire comme le chemin qui menait de la création du monde par Dieu, presque six mille ans auparavant, jusqu’à la venue future du Messie et de . la Rédemption. Des juifs en un premier temps. Puis de l’humanité tout entière. Il était du devoir sacré du juif de mener l’humanité sur ce chemin, et les chrétiens qui n’étaient pas des justes avaient fomenté le noir dessein de nous tuer en route.
Dans les écoles qui, pendant la journée, me tenaient lieu de foyer au cours des premières décennies de ma vie, on m’enseigna le judaïsme de mon père et l’histoire juive…
C’était une histoire riche en idées, où les martyrs étaient nombreux. Elle se caractérisait par une sorte d’intimité familiale avec Dieu et par le regard de tout un peuple résolument tourné vers les promesses de l’avenir. J’ai étudié cette histoire en profondeur et je n’ai eu aucun mal à m’y retrouver, particulièrement quand j’ai compris comment agir vis-à-vis du fondamentalisme, pendant les années au cours desquelles j’ai pu utiliser des méthodes de recherche scientifiques sur les textes anciens. J’ai vécu en harmonie, au cœur de ma foi.
J’ai passé les décennies suivantes à redéfinir ma foi selon une progression. J’y suis parvenu en écrivant des romans, c’est ma façon personnelle de donner forme à la pensée. Ces romans décrivent certains conflits culturels dans le présent. Ce livre a pour sujet le passé qui a engendré le présent.
J’écris ce livre à Jérusalem, et dans certaines villes d’Europe et d’Amérique, Je l’écris dans le siècle le plus sanglant de toute l’histoire de mon peuple, et probablement de l’histoire de l’humanité. Etre juif au XX » siècle, c’est comprendre pleinement la possibilité de la fin de l’humanité. Tout en croyant en même temps, grâce à une certaine foi, que i nous allons survivre. L’histoire juive contient tant d’épisodes mystérieux et surprenants. J’écris sans illusion quant à la possibilité d’une soudaine révélation mais avec le seul espoir que, grâce à l’écriture, une faible lumière viendra éclairer cette question obsédante. Comment se fait-il qu’après presque quatre mille ans de confrontation dense, fertile et parfois violente – avec le paganisme, la Grèce, Rome, le christianisme, l’islam, et pendant les deux cents dernières années avec la laïcité – comment, après tout cela, les juifs existent-ils encore et comment peuvent-ils – comme moi à ce ] moment même – continuer à vouloir comprendre et interpréter leur histoire ?