Yosef Hayim Yerushalmi naît dans le Bronx en 1932, au sein d’une famille d’émigrants juifs de Russie originaires de Pinsk - pour sa mère - et de Goloskov,près d’Odessa - pour son père - attachés au judaïsme sans être orthodoxes .
Élevé en hébreu, en anglais et en yiddish - son père enseignant l’hébreu - il fréquente les yeshivot new-yorkaises où il reçoit une solide éducation juive. En 1953, il obtient un diplôme de la Yeshiva University et, quatre ans plus tard est ordonné rabbin au Jewish Theological Seminary.
Il entreprend des études d’histoires et obtient un doctorat de l’université Columbia en 1966, portant sur le médecin et philosophe marrane du 17e siècle Isaac Cardoso, sous la direction de Salo Wittmayer Baron un des plus grands spécialistes de l’histoire du peuple juif au xxe siècle.
Il travaille une année comme rabbin dans une synagogue new-yorkaise mais s’oriente vers la recherche et l’enseignement, obtenant un poste de professeur d’hébreu et d’histoire juive et de civilisation séfarade à l’université de Harvard. En 1980, il quitte Harvard pour Columbia où il reprend la chaire d’histoire juive de son maître Salo Baron.
Il décède à Manhattan où il habitait, à l’âge de 77 ans.
Si Yosef Yerushalmi a consacré l’essentiel de son travail au judaïsme séfarade et aux marranes (aux XVe -XVIIe siècles, juifs de la péninsule Ibérique convertis au catholicisme mais continuant à pratiquer secrètement leur ancienne religion), c’est parce qu’il est fasciné par ces « juifs à l’intérieur et chrétiens à l’extérieur » . Au point de faire de ces marranes un paradigme de l’identité juive en pays chrétiens – mais aussi en terre d’islam –, à l’époque médiévale – mais aussi à l’époque moderne. Ainsi, selon lui, l’identité juive contemporaine n’est plus tant une question d’héritage qu’une question de choix.
Ces réflexions pionnières sur la relation à la mémoire, à l’histoire et au passé se traduiront en 1980 par son essai le plus connu, Zakhor : Histoire juive et mémoire juive, (« Souviens-toi », en hébreu). Dans cet essai, couvrant l’histoire juive jusqu’à l’époque moderne, il s’interroge sur les relations des Juifs avec la mémoire. Cet ouvrage va influencer significativement les historiens juifs de la génération suivante, et servira de référence dans les les débats sur la mémoire qui traversent le monde intellectuel au cours des années 1980 et 1990.
Au début des années 1990, Yerushalmi se penche sur le Moïse de Freud et propose, pour la première fois, une évaluation historienne d’un texte fort débattu et problématique, contribuant au lancement d’un large débat de spécialistes autour de la figure de Moïse.
Yosef Hayim Yerushalmi est considéré l’un des grands chercheurs de l’histoire juive, dont l’œuvre, une forme de méditation sur la tension entre la mémoire collective d’un peuple et l’analyse prosaïque des faits, a influencé toute une génération de penseurs.
Bibliographie :
On peut lire en traduction française :
- Zakhor, Histoire juive et mémoire juive, éd. Gallimard, 1984, recension sur le site de l’Institut européen en sciences des religions
- De la cour d’Espagne au ghetto italien. Isaac Cardoso et le marranisme au 17e siècle, éd. Fayard, 1987
- Le Moïse de Freud, Judaïsme terminable et interminable, éd. Gallimard, 1993
- Sefardica, Essais sur l’histoire des juifs, des marranes & des nouveaux-chrétiens d’origine hispano-portugaise, éd. Chandeigne, 1998
- Serviteurs des rois et non serviteurs des serviteurs, éd. Allia, 2011
- Transmettre l’histoire juive, entretiens avec Sylvie Anne Goldberg. éd. Albin Michel, 300 p.,
Sur son oeuvre :
- L’histoire et la mémoire de l’histoire. Hommage à Yosef Hayim Yerushalmi,
sous la direction de Sylvie Anne Goldberg. éd. Albin Michel, 190 p.,
Voici, entre autre, ce qu’il confie à Sylvie Anne Goldberg :
« La judéité, je ne l’avais pas choisie, mais j’ai décidé que ma voie serait de comprendre ce que pouvait être le judaïsme ». Persuadé qu’« il fallait remonter bien plus loin dans le passé pour comprendre ce phénomène », la Shoah l’a amené à poser la question de la mémoire :« De quoi se souvient-on et qu’est-ce qu’on oublie ? » L’accent trop fort mis sur la Shoa le rend « mal à l’aise » , à cause de la distorsion qu’elle fait subir à l’histoire juive et des conséquences qu’elle a sur l’identité des Juifs américains fondée, selon lui, « que » sur la Shoah et Israël. « Je n’ai jamais fait de cours spécifique sur l’Holocauste. Je refuse d’enseigner la manière dont les Juifs sont morts à des étudiants qui n’ont pas moindre idée de la manière dont ils ont vécu. »
« Les Juifs ont-ils fait leur histoire, ou est-ce l’histoire qui a fait les Juifs ? Si c’est l’histoire qui a fait les Juifs, alors en changeant l’histoire, on peut changer les Juifs » , dit-il encore à Sylvie Anne Goldberg.
Au fil de ces entretiens, l’historien dévoile également sa foi juive. Mais il est conscient de la confrontation de cette foi à l’histoire. Il explique par exemple que la création d’un État juif « n’a jamais été anticipée par la tradition juive ». En effet, le judaïsme n’a envisagé que deux États, « celui des temps antiques, avant l’exil, et celui qui existerait aux jours derniers, avec la venue du Messie ». Ce qui pour lui pose la question de la nature de l’Etat d’Israël et du rapport du judaïsme à celui-ci.
Sa vision de l’histoire et du rapport à l’histoire illustre parfaitement la façon dont le judaïsme massorti se confronte à ces questions et dont il se pétrie.