Le cas n’est pas unique : un peu partout dans le monde existent de tels phénomènes d’adhésion spontanée au judaïsme, sans contact direct avec une communauté juive. Cela s’est même produit en Europe, avec l’extraordinaire aventure d’un petit groupe d’Italiens de la localité de San Nicandro (Pouilles), que la découverte de l’Ancien Testament à la suite d’un certain Donato Manduzio (1885-1948) avait conduits au judaïsme dans l’entre-deux-guerres, alors qu’ils ignoraient même que le peuple juif existait encore ! Ils entrèrent par la suite en contact avec des juifs et émigrèrent pour la plupart en Israël après la guerre. Sur le continent américain, en Asie ou au fond de l’Afrique, on trouve aujourd’hui des groupes qui affirment être juifs, parfois en se considérant comme descendants de l’une des tribus perdues d’Israël et souvent en mêlant bien sûr à leur reconstruction du judaïsme des éléments hérités d’autres traditions religieuses. Et il existe également quelques petits groupes juifs qui s’intéressent de façon sympathique à ces différents mouvements qui s’autoproclament juifs.
Origines des Abayudaya de l’Ouganda
A l’origine de la communauté Abayudaya (Bayudaya signifie "juifs" en luganda ; ba est un préfixe marquant le pluriel) se trouve une figure charismatique, comme souvent dans ces initiatives : Semei Lwakilenzi Kakungulu (env. 1860-1928). Converti au protestantisme dans les années 1880, il se révéla aussi être un brillant chef militaire au service du roi du Buganda. Il s’affirma notamment comme tel dans les guerres contre les musulmans et les catholiques. Il réussit également à soumettre d’importantes tribus à la périphérie du Royaume du Buganda et fonda la ville de Mbale, à 250km au nord-est de Kampala. Au début du 20e siècle, Kakungulu aspirait à établir son propre royaume et espérait y parvenir avec l’appui britannique, mais ses espoirs furent déçus. En 1913, il se retira pour se consacrer aux questions religieuses.
Kakungulu adhéra d’abord à la secte chrétienne des Bamalaki, qui se signalait également par son respect du samedi comme jour du sabbat et par son refus farouche des vaccins et médicaments. Cependant, Kakungulu manifesta la volonté d’adhérer plus strictement que les Bamalaki à l’Ancien Testament : il souhaitait le respect de tous les commandements mosaïques, à commencer par la circoncision. Les Bamalaki s’y opposèrent en disant qu’il s’agissait d’une pratique juive. "Dans ce cas, je suis désormais un juif", rétorqua Kakungulu, qui se fit circoncire en 1919 : cela marqua le début de l’aventure des Abayudaya.
Kakungulu s’éloigna de plus en plus du christianisme pour adhérer à ce qu’il percevait comme le judaïsme et fut suivi par un certain nombre de ses compatriotes - jusqu’à 2.000 environ à l’apogée du mouvement. Il publia en 1922 un livre contenant les règles et prières de la communauté et fit édifier un lieu de culte en 1923. En 1926, il rencontra à Kampala un commerçant juif et se lia d’amitié avec lui. Son ami juif instruisit Kakungulu, ce qui conduisit le groupe à l’abandon complet du Nouveau Testament et de la foi au Christ. La pratique du baptême cessa et l’abattage rituel fut introduit pour la viande consommée par la communauté. Les dirigeants du groupe commencèrent même à apprendre l’alphabet hébreu.
Après le décès de Kakungulu, la communauté déclina, d’autant plus qu’il y eut des rivalités internes pour la direction du groupe. Sans parler des problèmes propres à toute minorité isolée : trouver des conjoints, maintenir les enfants dans la foi de leurs parents, etc. En 1961, le nombre d’adhérents était descendu à 300.
Développement des contacts avec le monde juif
De rares contacts avec des juifs établis en Ouganda eurent lieu au cours des décennies suivant le décès de Kakungulu. Dans les années 1960, les Abayudaya reçurent la visite d’Arye Oded, un chercheur israélien qui travaillait alors à l’Université Makerere à Kampala et eut par la suite une carrière diplomatique dans plusieurs pays africains. A l’exception de la période du régime d’Idi Amin Dada, il maintint un contact permanent avec la communauté et rédigea un intéressant petit ouvrage en anglais dont la moitié est consacrée à ce sujet.
L’établissement de contacts avec des organisations juives à partir des années 1960 permirent enfin aux Abayudaya de sortir un peu de leur isolement et de recevoir quelque assistance.
Dès cette époque, la World Union for the Propagation of Judaism (créée en 1955 par Israel Ben-Zeev, professeur à l’Université Bar-Ilan) s’intéressa ainsi aux Abayudaya : elle y voyait un point de départ possible pour des efforts de conversion d’Africains au judaïsme.
Tout cela contribua certainement à redresser le sort de la communauté, dont le nombre de membres serait remonté à 800 environ au début des années 1970, en partie à la suite du retour de certains adhérents qui l’avaient abandonnée. Les années difficiles du régime d’Idi Amin Dada affaiblirent le groupe sans le faire disparaître, et il y eut de nouvelles conversions après la chute du dictateur.
Au début des années 1990, la communauté comptait environ 500 membres, selon Arye Oded. Ils continuaient de vivre non loin de Mbale.
En 1995, les Abayudaya reçurent la visite de représentants de Kulanu, une organisation juive américaine qui se consacre aux "juifs oubliés", qui s’intéresse à tous ceux qui, à travers le monde, se reconnaissent comme juifs tout en restant sur les marges du judaïsme. Koulanou aida financièrement la scolarisation des 150 enfants de la communauté.
Avec d’autres, Koulanou semble avoir joué un rôle clé dans le processus qui a maintenant abouti à l’intégration formelle des Abayudaya dans le monde juif. Cela a été préparé par des contacts toujours plus nombreux, y compris des visites de juifs noirs ougandais aux Etats-Unis.
Aboutissement : la conversion au judaïsme
Le dirigeant spirituel de la communauté, Gershom Sizomu, petit-fils de l’homme qui a permis à la communauté de survivre contre vents et marées de 1936 à 1992, passa tout l’été 2001 à suivre des cours de judaïsme au Hebrew Union College de New York (une institution qui s’inscrit dans la branche réformée de la tradition juive). Il rentra alors en contact avec le mouvement Conservative (massorti ) plus proche de sa mentalité.
Il prépara son concours d’entrée au séminaire rabbinique avec succès.
En 2003, Gershom Sizomu est parti, accompagné de sa femme et ses deux enfants, étudier cinq années à la Ziegler School, le séminaire rabbinique massorti de Los Angeles. Ayant reçu son diplôme rabbinique en 2008, il revint au pays pour s’occuper des Abayudaya et devenir le premier rabbin noir en Afrique.
Au mois de février 2002, quatre rabbins conservateurs des Etats-Unis et un de leurs collègues venu d’Israël se rendirent finalement en Ouganda afin de procéder à la conversion formelle des Abayudaya, 83 ans après le début du cheminement de Kakungulu vers le judaïsme !
Deux tiers environ de la communauté, soit 400 personnes, ont accepté de passer par le processus de conversion. "La plupart de ceux qui ont choisi de ne pas se soumettre à la conversion ont invoqué la maladie ou des problèmes de voyage. Quelques-uns ont déclaré que leur judaïté n’avait pas besoin d’une telle confirmation venue de l’extérieur."
Les membres masculins de la communauté, déjà tous circoncis à la naissance, ne durent passer que par une circoncision symbolique (hatafat dam brith, extraction d’une goutte de sang).
Rabbi Gershom Sizomu est le petit-fils de l’homme qui a permis à la communauté de survivre contre vents et marées de 1936 à 1992. Il passa tout l’été 2001 à suivre des cours rabbiniques au Hebrew Union College de New York (une institution qui s’inscrit dans la branche réformée de la tradition juive).
Au mois de février 2002, quatre rabbins conservateurs des Etats-Unis et un de leurs collègues venu d’Israël se rendirent finalement en Ouganda afin de procéder à la conversion formelle des Abayudaya, 83 ans après le début du cheminement de Kakungulu vers le judaïsme ! Deux tiers environ de la communauté, soit 400 personnes, ont accepté de passer par le processus de conversion.
En 2011, il fut candidat aux élections locales pour représenter son district au Parlement.
Le fait que la réception formelle des Abayudaya dans le judaïsme ait été effectuée par des rabbins conservateurs signifie bien sûr que les milieux juifs orthodoxes resteront probablement réservés face à cette conversion. A vrai dire, Kulanu s’était d’abord adressé à des rabbins orthodoxes , mais ceux-ci avaient refusé de procéder à la conversion, en estimant qu’il n’existait pas à Mbale une infrastructure orthodoxe suffisante (boucheries, écoles, etc.) pour permettre aux convertis de mener un mode de vie conforme aux préceptes du judaïsme orthodoxe .
Le Ministère israélien de l’Intérieur considère les Abayudaya comme juifs en ce qui concerne le bénéfice du "droit au retour", c’est-à-dire de l’installation en Israël, comme toute conversion par l’intermédiaire du mouvement massorti .
L’article de Totally Jewish remarque également l’interaction croissante des Abayudaya de l’Ouganda avec des visiteurs juifs de l’extérieur, après ses décennies d’isolement. Jack Zeller, président de Kulanu, précise que "la communauté a reçu à peu près 100 visiteurs l’an dernier et que le nombre montera probablement à 1.000 après toute cette publicité [autour de la conversion], et c’est merveilleux, parce que c’est très important pour les juifs autour du monde d’être en réseau les uns avec les autres."
Sur un plan pratique, l’intégration dans le monde juif devrait aider la communauté à assurer son avenir, notamment quant aux possibilités de mariage entre juifs : il y a en effet plus d’hommes que de femmes chez les Abayudaya, et les liens de parenté entre membres d’un si petit groupe sont nombreux.
D’après un article de Jean-François Mayer
Rabbi Gershom Sizomu en visite dans une école juive américaine
(Schechter Day School du mouvement Massorti ).
Liens sur Juifs en Ouganda
Conférence sur le sujet http://www.akadem.org/sommaire/parc...