Le film décrit l’histoire vraie d’un Juste parmi les nations, Oskar Schindler (Liam Neeson), un industriel allemand, membre du parti nazi, qui réussit à sauver près de 1 100 Juifs promis à la mort dans le camp de concentration de Płaszów, sans pour autant occulter les travers du personnage un peu ambigu et cherchant à tirer un profit matériel de la situation.
Ne pensant tout d’abord qu’à son profit, employant une main d’œuvre juive bon marché dans son usine, Oskar Schindler ne se rendra véritablement compte de l’horreur et la folie nazie qu’en assistant à la liquidation du Ghetto de Cracovie par le commandant SS Amon Göth (Ralph Fiennes), et particulièrement en voyant une petite fille au manteau rouge perdue dans le massacre. Dès lors, il tentera, aidé de son comptable Itzhak Stern (Ben Kingsley), de sauver le plus de vies possibles.
Alors que le camp dirigé par Amon Göth reçoit l’ordre de fermer et que des milliers de Juifs doivent alors être transférés à Auschwitz, Schindler décide d’acheter 1 100 de ces hommes pour les « abriter » en les embauchant dans la nouvelle usine d’armes qu’il a ouverte. Il rédige alors la liste contenant les noms de ceux qui seront sauvés. Mais un train de femmes destinées à partir à son usine est détourné vers Auschwitz. Elles échappent de peu à la mort et vont enfin à l’usine de Schindler. Dans cette usine, il interdit aux gardiens tout méfait sur les employés et ira même jusqu’à saboter sa propre marchandise pour qu’elle ne puisse être tirée par les canons.
Quelques mois plus tard, la guerre se termine. Oskar Schindler et sa femme quittent le pays car pourchassés comme criminels de guerre par les alliés, mais pas avant d’avoir dit adieu aux 1 100 Juifs qu’ils ont sauvés et de s’être vu offrir par ces derniers une bague portant la maxime tirée du Talmud : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité tout entière »
La Shoa à travers une histoire qui finit bien...
Pas facile de filmer la Shoa.
Le parti pris de Spielberg est de tout dire, tout montrer, emmener le spectateur au cœur du drame. C’est à la limite de l’indécence mais c’est efficace, un coup émotif porté aux spectateurs.
Ce film se veut une leçon d’histoire et il fit en effet connaitre la Shoa à tout un public. Le cinéma est-il le meilleur moyen pour cela ? Peut-être pas, mais c’est un moyen et Spielberg l’utilise à fond.
Ce film se veut aussi une pédagogie, un exemple de possibilité de bien au milieu de l’enfer. Schindler, le médiocre profiteur de guerre et exploiteur de la misère des autres, va devenir un héros et retrouver son âme. Spielberg veut nous dire qu’il y a toujours du bon et du bien et qu’il ne faut pas totalement désespérer.
Le film est assurément une réussite de cinéma et un coup-de-maître esthétique. Mais fallait-il filmer ainsi ? On peut en débattre… De toute façon, on ne touche pas à un tel sujet sans soulever des interrogations.
Reste que La liste de Schindler est avec Le pianiste de Polanski, une œuvre majeure sur ce sujet douloureux et que certains dans la lignée de Claude Lanzmann refuseront toujours de voir tourner en studio et représenté par des acteurs.
C’est la vieille question juive du tabou de la représentation. Spielberg a mis les pieds dans le plat avec talent, mais trébuche tout de même un peu.
Y. Dalsace
A lire une analyse intéressante parue dans le N°43 de la revue Persée, voir PDF.
Fiche technique
Réalisé par Steven Spielberg
Avec Liam Neeson, Ben Kingsley, Ralph Fiennes, plus
Titre original : Schindler’s List
Long-métrage américain . Genre : Historique , Drame , Guerre , Biopic
Durée : 03h15min Année de production : 1993
Sur le tournage de La Liste de Schindler
Un tournage en Pologne
Le film a été tourné entre mars et mai 1993, comptabilisant soixante-douze jours de tournage au total, dans le quartier de Kazimierz à Cracovie. Steven Spielberg n’a pas eu la permission de tourner dans le camp d’Auschwitz et le camp de travail de Plaszow n’était pas exploitable pour les besoins du film. Les scènes du camp de la mort ont donc été tournées à l’extérieur des portes, sur un plateau reconstruisant le camp à l’identique. Certaines scènes du films sont tournées sur les vrais lieux de l’histoire comme l’appartement de Schindler ou encore la prison.
Une scène rallongée
Le script ne comportait au début qu’une page sur la scène de liquidation du ghetto de Cracovie. Steven Spielberg en a réécrit une vingtaine en s’appuyant sur des témoignages, comme dans la scène où un jeune garçon échappe aux soldats allemands en prétextant qu’on lui a donné l’ordre d’enlever les valises au milieu de la rue. Cette scène centrale dans le film dure près de vingt minutes.
Ça sent la rouille, le fond de teint et l’acétylène. Dans une usine en ruine, à vingt minutes de Cracovie, Steven Spielberg tourne. Ici, les Polonais fabriquent des gamelles, des bidons, des plateaux. Le sol est en terre battue. Un technicien américain active la machine à fumée, le silence est de rigueur. « Celui qui ressemble à un officier, c’est lui, c’est Spielberg », murmure un ouvrier en pointant son mégot. Dehors, un garçon de 20 ans observe par la fenêtre brisée. Il voit les étoiles jaunes cousues sur les vestes de figurants. « C’est quoi, ces étoiles ? » demande-t-il.
Steven Spielberg n’a jamais connu la Pologne, d’où sa famille est originaire. « Enfant, j’ai appris à lire les chiffres sur les bras des gens qui venaient à la maison... Un oncle me montrait son tatouage. Il me disait : "Tu vois ce 6 ? Maintenant, c’est un 9 ! ’’ » Ainsi le gamin de Phoenix, Arizona, a-t-il appris qu’il était juif. Il ne l’oubliera pas. En 1982, en plein succès d’ E.T., le réalisateur acquiert les droits d’un livre : La Liste Schindler. Thomas Keneally, l’auteur, est australien. Un jour, de visite à Beverly Hills, ce dernier achète une valise. Le propriétaire du magasin, Leopold « Poldek » Pfefferberg, lance la conversation. Et raconte l’histoire d’un Allemand, Schindler - un profiteur, un trafiquant - qui, en pleine guerre, a embauché de la main-d’oeuvre juive pour son entreprise de Cracovie. En payant, en soudoyant, en négociant, ce digne membre du Parti national-socialiste a sauvé TOUS « ses » juifs : 1 600 au total. Les « Schindlerjuden » (Leopold Pfefferberg est l’un d’eux) se sont dispersés de par le monde. Avec leurs enfants, ils sont aujourd’hui 6 000. Certains d’entre eux sont revenus en Pologne pour aider Spielberg à raconter la vie d’Oskar Schindler.
Il faut du courage pour affronter le passé. Il faut un cran d’enfer pour se promener à Auschwitz, puis à Birkenau, puis à Plaszow. Puis dans le ghetto de Cracovie. Il n’y reste que deux morceaux du mur érigé par les Allemands : une dizaine de mètres, dans une rue, avec une plaque commémorative. Et, derrière une école, un muret par-dessus lequel s’organisait le marché noir. C’est devenu un terrain de jeux, avec balançoires et toboggans. On serre les dents pour visiter. « La terre est gorgée de sang », dit Liam Neeson, l’acteur qui tient le rôle de Schindler.
L’air, lui, est saturé de cendres. A Auschwitz II, on tuait 6 000 personnes par jour, on brûlait 250 cadavres à l’heure. Pendant l’été 1944, un demi-million de juifs hongrois furent gazés et incinérés ici. Leurs cendres flottaient sur la ville, partout. Elles flottent encore. Elles font plisser les yeux, elles se déposent sur les mains. Peut-être n’est-ce que la suie des cheminées géantes des aciéries de Nowa Huta, toutes proches. Peut-être. Mais peut-être pas. Spielberg a dressé ses caméras à l’extérieur du camp de la mort et a fait marcher des hommes et des femmes en pyjama rayé entre des barbelés d’époque. Son film sortira en décembre prochain.
« J’ai voulu tourner en noir et blanc, parce que je n’arrivais pas à concevoir ce film en couleurs », dit-il. Le réalisateur d’ « Indiana Jones » à Birkenau ? Certains se sont émus. Le fils spirituel de Walt Disney mettant en scène l’Holocauste ? Alerte ! Les rumeurs se sont mises à courir : le cinéaste avait construit une maison pour son confort, il vivait dans le luxe, l’oeil rivé sur le box-office, à la poursuite d’une respectabilité « artistique ». Dans la fabrique de gamelles, Spielberg hausse les épaules, avec un sourire triste qui fait bouger sa barbe de rabbi. « J’ai mis longtemps à m’habituer au succès. Puis à l’envie. Maintenant, je me borne à faire des films, et j’espère que celui-là sera utile, c’est tout. »
Les acteurs, polonais pour la plupart, répètent leur scène dans le brouillard de l’usine. Le décorateur a poussé le scrupule jusqu’à orner le bureau de Schindler d’une mappe allemande de 1941, de cartes postales d’époque (« Dantzig ist Deutsch ! »), d’éditions authentiques (un roman de Conrad, un autre de Hugh Walpole). Sur un bureau, un exemplaire du magazine « Die Wehrmacht » daté du 4 juin 1941 : la couverture, incongrue, montre un Hitlerjunge tenant un iguane. L’équipe technique comprend huit Croates, dont le producteur, Branko Lustig. « Steven voulait des meubles californiens pour sa chambre d’hôtel. J’ai fait venir des trucs de chez Ikea. Dessous, il y avait marqué : made in Poland », explique en riant ce sexagénaire costaud. Enfant, il a passé trois ans à Auschwitz : « J’étais chargé d’ouvrir la grille d’entrée. » Il remonte sa manche, un chiffre tatoué apparaît. Par réflexe, on lève le stylo pour le noter, mais impossible. Il y a des choses qui ne se font pas.
A Cracovie, la présence de Spielberg est un événement. Pensez, un budget de 23 millions de dollars ! Sous les murs d’enceinte du château de Wawel, les petits commerces accrochent l’oeil et, sur la place centrale, des clowns jettent des pétales sur des enfants ravis. Plaszow, à cinq minutes de là, a été transformé en parc public. On peut pique-niquer sur l’herbe du camp de concentration, sur les ruines de la synagogue dynamitée. Un grand monument s’élève à la gloire des martyrs polonais. Une plaque discrète indique que des juifs sont morts ici. Un arbre, un caroubier, porte le nom de Schindler : mais cet arbre se trouve dans l’allée des Justes de Yad Vashem, à Jérusalem.
30 000 figurants, 18 000 costumes, une centaine de rôles « avec dialogue », voilà les statistiques officielles de « La Liste Schindler ». Spielberg, enthousiaste et électrique, donne des instructions en anglais à des acteurs polonais qui n’y comprennent goutte : « Ne regardez pas l’objectif de la caméra ! » indique-t-il. Les comédiens, engoncés dans des uniformes nazis, ont l’air honteux de se promener ainsi. A vrai dire, la honte rôde ici, dans cette usine expressionniste éclairée par Janusz Kaminski, le directeur photo (un ex-Polonais devenu californien) ; dans ce décor de stalag, un peu plus loin, reconstitué d’après les plans originaux ; dans ce dépôt de pierres tombales juives moulées dans du plâtre gris par des accessoiristes de Hollywood. Une petite fille passe : elle joue le rôle de Niusia Horowitz, une enfant juive protégée par Schindler. On lui présente une dame : celle-ci lui tend la main. Elle est blême : elle se nomme Niusia Horowitz.
« Toute cette période est comme un mur infini, impénétrable, noir. Et l’histoire d’Oskar Schindler est un minuscule rayon d’espoir... », reprend Spielberg. A Hollywood, on termine les effets spéciaux de Jurassic Park, son film sur les dinosaures, le big-bang de cet été (sortie prévue en France le 20 octobre). A Cracovie, Spielberg a pris le contre-pied de ses habitudes : le virtuose du travelling, le maniaque du gadget a déposé les armes. Place à l’émotion. Il filme simple.
Wagons à bestiaux, neige, svastikas : le passé remonte. Il n’est pas dit que les Polonais apprécient. Ici, le communisme s’est dissous dans l’amertume. Des curés serrés en grumeaux passent, leurs capes noires soulevées par le vent. Ils murmurent des plaisanteries, le visage déformé par le soleil, qui fait danser les vapeurs d’essence. Des tramways cliquettent. Par curiosité, j’ai été voir l’usine d’Oskar Schindler, la vraie. Dans une rue boueuse, le temps s’est arrêté : la firme, qui y officiait depuis la guerre, produisait du matériel électrique. Elle a fait faillite. Un concierge vend des cigarettes et des brosses à dents. Schindler, dites-vous ? Qui ça ? Spielberg est venu en Pologne avec sa famille : son fils adoptif de 4 ans, sa femme, sa fille. Celle-ci, une adolescente blonde, passe sur le plateau : « Alors, papa, tu fais de l’art ? » lance-t-elle. Son père lui raconte le scénario que John Wayne, un jour, lui a envoyé : le récit d’une course de chameaux. Dehors, dans une lumière froide, les chauffeurs patientent en mangeant des saucisses grasses. Rien n’a changé, à l’Est, sauf la télé.
Désormais, on reçoit MTV dans sa chambre d’hôtel. D’où, bien sûr, la vue sur la vieille ville est magnifique. Pour accéder à celle-ci, il suffit de traverser la Vistule. Sur la première arche du pont, un bombage : « Mort aux juifs ». A côté, il y a un dessin. C’est une usine avec de grosses cheminées. Dessus, un mot : « Gas ».
Lire également l’analyse de